Quand on évoque la musique
d’Ursula Serenghy on pense d’emblée « technique ». Mais derrière le
mur de dissonances virtuelles et virtuoses de son OK Box, il y a tout un
processus créatif paradoxal qui relèverait presque de ce storytelling
mercantile rabâché à longueur de clics sur les réseaux sociaux. Et une artiste
qui repense son art et sa position. Lassée de n’être que saxophoniste dans des
formations de jazz, c’est-à-dire simple exécutante, cette jeune musicienne
tchèque autodidacte fait table rase : pour composer elle troquera les
instruments en cuivre pour un ordinateur. Et pour ressourcer sa créativité,
elle ressuscite le mythe de la cabane au fond des bois en s’isolant à la campagne, sans eau courante ni électricité (juste quelques
accus solaires pour l’ordi), la solitude pour meilleure amie. Le résultat de
cette réclusion volontaire est pourtant loin, très loin de l’idée qu’on
pourrait s’en faire : ses méditations ne prennent pas la forme de ce bon
vieux folk champêtre (et un peu geignard) qui prône un sempiternel retour aux
sources, mais constituent plutôt un petit brûlot digital iconoclaste et diffracté qui
vous chope à la gorge, en embuscade… au coin d’un bois. S’il exprime bien une
certaine déconnexion avec ce « monde d’avant » qui s’obstine à
perdurer, c’est de manière anguleuse, éclatée. Du jazz
de ses débuts, ne restent que le souffle des colonnes de cuivre passé dans
les filtres aléatoires d’une synthèse granulaire assumée, une pulsation
qui s’est muée en un groove fractal et sautillant. On se situe sur les marges
ténues d’une EDM exigeante et de l’électroacoustique souvent considérée à tort
comme bien plus savante… Avec ce côté bonbon acidulé de notre enfance qui
explose dans le palais…. Musique de rupture, le travail de déconstruction méticuleux
d‘OK Box propose une contemplation horizontale et vibrionnante du flux permanent
d’un monde parti en roue libre. Dans cette niche sonore indéfinissable il y a
eu des pionniers comme Rafael Toral et son free-jazz électronique hermétique ou
encore Steve Fisk, dont le travail s’apparente fortement, mais Ursula Serenghy
nous propose quelque chose de beaucoup plus ludique, accessible, avec ce swing
instable et éclaté. Assemblage d’orfèvre subtil et tout en demi-teinte, OK Box
nous propose une escapade émancipatrice qui ouvre nos oreilles à des horizons
alternatifs en forme de tourbillons virtuels.
L'Un.
Ursula SERENGHY "OK Box" (Gin&Platonic. 2021)
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