lundi 23 février 2015

Gaétan GROMER : [fri:z]

Sur sa page Bandcamp, Gaétan Gromer résume très sobrement  le pourquoi de cet album, et lève aussi un petit bout de voile opacifié  sur le comment, ce qui n’aura alors de cesse d'intriguer.
[fri:z] se définit comme un concept album, jetant un pont entre  l’accident informatique et  nos synapses buggant sur la contemplation de notre monde en mouvement. Pour l’exprimer, Gaétan Gromer est probablement allé puiser des fragments de sa propre réalité, enregistrements sonores glanés ça et là aux quatre coins du globe, le travail sur ordinateur se chargeant de faire le lien tout en brouillant les pistes : invitation digitale à naviguer vers des horizons psycho-géographiques figés aux frontières de la confusion. Quatre enregistrements de terrains aux antipodes les uns des autres, et surtout de chez nous : suffisamment éloignés pour dépersonnaliser l’expérience. Quatre lieux empreints d’une errance sensorielle à la fois intériorisée et totalitaire. Gaëtan Gromer  ne cherche nullement à  reconstituer une image sonore du lieu avec les sons captés, mais au contraire, ceux-ci, méconnaissables, restituent cet état de stase obsessionnelle. Ce pourrait être ici, ailleurs et maintenant, le regard perdu dans le vague comme à l’affût du vide. Des sensations flottantes et contrastées  qui renvoient imperceptiblement d’un état à l’autre.
[fri:z], méthodique et trippé,  reste cependant bien ancré dans une réalité suspendue qu’il observe et dont il se nourrit dans l’instant du moment. Une approche comparable à celle du dernier Bérangère Maximin qui évoque tout autant les sounscapes post-industriels  d’un Christopher McFall, que l’art consommé des boucles (rituelles) de Steve Roden, ou les topographies ambiantes de Brian Eno. Ça doit faire plus d'une quinzaine d'années que je n’arrivais pas vraiment à décrire cette  sensation euphorisante, cette impression de quasi-oblitération ressentie dans ce bus bondé et cahotant qui se perdait dans les routes escarpées du Karakoram et du Pamir : je crois enfin en avoir chopé la bande-son.
                                                           [fri:z] = (b)OMGV  > (bel) Objet Musical à Géométrie Variable.


L'Un

Gaétan GROMER : [fri:z] (auto-produit. 2014)
site de l'artiste et sa page Bandcamp


mercredi 11 février 2015

DISAPPEARS : "irreal".

Errare humanum est, persevare diabolicum.

Cinquième album d’un groupe de rock  austère et lumineux, dont la précision chirurgicale  ne cesse d’affiner le propos. Magistral coup de scalpel ou bluff grinçant ?
Avec l’application d'artisans et l’arrogance calculée de vieux briscards revenus de tout, les DISAPPEARS poursuivent leur exploration horizontale, qui les amène à poser leurs propres limites comme une abstraction d’eux même. Un pas de plus au bord du précipice, plus désincarné que jamais. Un clin d’œil appuyé vers le Sonic Youth des débuts, post-punk au groove froid et rigide. Rythme sec et claquant en syncope appuyée et répétitive, noyé  dans l'écho d'un dub délétère. Une touche de Can, comme une idée fugitive dérobée et ressassée à l’envi . Cliquetis métalliques d'une guitare au second plan. La voix de Brian Case abandonne là ses sarcasmes habituels pour se perdre dans une introspection comateuse.  Sorte de jam session conceptuelle,  où toutes les libertés individuelles prises s’imbriquent mécaniquement les unes à la tangente des autres, selon une imparable logique d'esquisse. A aucun moment l’identité forte du groupe ne faillit, sans pour autant qu'on ne réussisse à mettre précisément le doigt dessus.
Qui sait, si pour son prochain album, le groupe ne se frottera pas au réductionnisme le plus austère, ou tendra au contraire vers une forme béate d’ambient-music  figée : et on aimera ça.

L'Un.

Disappears : "Irreal" (Kranky. 2015).