lundi 29 mars 2021

BRÂME "ce qui rôde"

 

Ça commence dans la brume plutôt que Brâme. Un vol bas et décharné d’oiseaux fuyant la peste. Terrible mugissement sans fond ; de celui qui pousse les gueux à tendre l’embuscade à l’orée des forêts. Oyé oyé bonne gens : la chasse est ouverte. Parce qu’on n’en reviendra pas indemne, de cette incursion au pays d’un blues rural, casse-gueule et âpre comme de l’alcool de mauvais grain. Le duo manipule ses six-cordes avec l’opiniâtreté résignée de ces forçats qui retournent la terre, cassent les cailloux sur le bord des routes. Une pulsation primale sur 2 accords et ces bruissements parasites qui mènent tout droit à une transe païenne. Ruminer le noir. Expiatoire. Blues primitif à peine électrifié et simplement braillé. Quelques relents vaguement industriels corrodent les sillons tracés avec peine. Cru, poignant et viscéral. Habité plutôt qu’hanté. La bande-son idéale d’un Aux Animaux la Guerre… si seulement le livre avait été à la hauteur du Brâme.

 

L’Un.

BRÂME "ce qui rôde" (autoproduit. 2020)

mardi 23 mars 2021

INSTITUTRICE : "Cohortes"


Association d'Erik Benz (Electric Electric) et JB Geoffroy (Pneu, Tachycardie), Institutrice surprend par sa richesse dans le minimalisme : percussif en essence, elle aligne des supports métal, bois et peaux tendues. Deux personnes pour une quantité non dénombrée de percussions ; supports de tous genres, dont les origines variées sont les fruits d'une curieuse quête régulière. A la fois gameland et bronx, l'auditeur est décontextualisé, sortant de la musique occidentale sans atteindre le folklore mondial. C'est un ready-made autant qu'une installation que les deux font résonner fébrilement dans des cycles qui annoncent des transes. Si celles-ci n'ont pas lieu, c'est par des changements réguliers de rythmes, des basculements de sonorités dans lesquels on se laisse embarquer vers autre chose. Quelques interludes entrecoupent sous formes de nappes d'apparence synthétiques, parfois aériennes, parfois dans l'étrangeté comme Dianthus. Une sorte de Colonie de Vacances à deux.

Cette galette me permet de remercier le label Unjenesaisquoi dont les choix éditoriaux sont exceptionnels : dégotant des réalisations étonnantes (Pierre Bastien et Eddie Ladoire), favorisant d'autres (Valentina Ma et la batterie fragile-en céraminque- d'Yves Chaudoet ), il trace son chemin dans la création sonore aventureuse.

 

L'Autre

INSTITUTRICE : "Cohortes" (Unjenesaisquoi. 2021)

lundi 1 mars 2021

David TOOP : Apparition Paintings

 Sometimes I'd like everybody who is stuck, or lost, or vacant to stay that way and keep silent for as long as it takes, but that's the critic in me talking. (D. Toop)

 

 

En ce qui me concerne, Il y a toujours eu un malentendu concernant David TOOP, définissant plutôt celui-ci comme une espèce de théoricien de la musique, un écrivain et journaliste qui s’adonnerait en dilettante à la pratique de la musique (plus ou moins improvisée). Mais un simple coup d’œil à sa discographie pousse peut-être à réviser mes jugements pour le remettre à sa juste place dans ce panthéon des musiciens dont l’influence rampante est exponentielle : l’orientalisant "Black Chamber" et sa proposition d’immersion dans le monde infra urbain de "37th Floor at Sunset"… restent des incontournables dans ma petite discothèque. Méprise initiale qui provient peut-être de ses toutes premières sorties ("Lost Shadows: In Defence of the Soul (Yanomami Shamanism, Songs, Ritual, 1978", ou  "Lost instrument" en collaboration avec le défricheur Max Eastley) qui relevaient de l’ethnographie sonore ; ses excellents bouquins (dont le vertigineux ("Ocean of Sound"…) n’aidant en rien à lever cette confusion.  Dans une veine similaire (fascinante) et sans cesse renouvelée, Apparition Paintings se présente comme un enchevêtrement de collages diaphanes qui fait la part belle à des bribes de chansons dont on en sait vraiment si ce sont là de extraits volés à un passé fantomatique ou des enregistrements de circonstance... Les voix sont éthérées, souvent naïves, convoquant les obsessions japonisantes de Toop. Un fil directeur comme un autre dans cet écheveau kaléidoscopique, avec des accords appuyés de guitare noyés dans une réverbération tirée au cordeau. Le capharnaüm paisiblement agencé se fond en transitions subtiles et ouvrent l’espace sonore vers un paysage onirique gentiment halluciné. Ce bruitisme ludique n’est pas sans rappeler les collages et le penchant orientaliste de John Zorn. Certes, mais les petits rituels bricolés de Toop montrent plus de chaleur, moins de raideur académique, avec ce petit supplément indicible d’âme et de poésie.

 

 

L’Un.

  

 

David TOOP "Apparition Paintings" (Room40. 2020)