"Come to Daddy..."
Il aura fallu pas mal d’écoutes
attentives, du temps et surtout de se débarrasser de quelques à priori. Et sans
illusion, s’essayer à dépasser cette accumulation de poncifs lue dans une
presse consciencieusement dithyrambique. Parce qu’il
fallait crever l’abcès boursouflé du buzz vrombissant à la sortie de
l’album. Bah ouais, ANDRE 3000, quoi, c’est OUTkAST et son rap bling bling
qui aura régné sur les années 2000. Et au lieu de se la couler douce à écouler
ses royalties dans un palace de papier parce qu’il n’avait plus grand chose à
prouver, il nous fait ce come-back sous la forme d’un OVNI aux contours flous
et insaisissables. Caprice de star revenue de tout ou sincère illumination ?
Un peu des deux, la première proposition facilitant la deuxième : parce
qu’il peut se le permettre, et sans trop de comptes à rendre dans une industrie
prédatrice trop occupée à scruter les courbes des ventes du filon format vinyle qui s'épuise... Et il nous la joue à rebrousse-poil, suffisamment facétieux
pour annoncer la couleur avec le bien nommé premier titre à ralooonge en forme
de constat indépassable : « I swear, I Really Wanted
To Make A "Rap" Album But This Is Literally The Way The Wind Blew Me
This Time ». Sacré Dédé va. C’est armé de sa
flute céleste (instrument qu’il pratique depuis toujours), de quelques bons
potes fiables (dont Tyler, the Creator) et d’un endroit bien peinard qu’il s’en
va défricher ce nouveau territoire sonore ouvert à ces cinq sens. Et c’est
parti pour un full tripping de 8 morceaux dont la durée est souvent corrélée
à la longueur des titres les qualifiant (bon, il a réussi à faire courtaud avec
« Ninety three ‘til infinity & Beyoncé »). Les plages
s’étirent donc, sans autre contrainte que le cheminement intime de ces errances
qui oscillent paisiblement entre new-age, jazz cosmique, une pointe
d’expérimentations très organiques, le tout nimbé de grosses nappes d’ambient et
d’ambiances feutrées à faire pâlir un Eno (ndlr : encore lui…) en manque
d’inspiration. Musique dépourvue de business plan cynique, sans autre
but qu’une navigation introspective à cœur ouvert, sensible, qui prend simplement
le temps de se poser au milieu de cette hystérisation interconnectée. Ce truc,
qui invoque autant le flutiau de l’inégal Herbie MANN dans ses grands moments
que des borborygmes d’un Pharoah SANDERS branché sur un vieux Moog désaccordé,
c’est un luxe rare qu’ANDRE 3000 a su saisir au vol en pleine conscience. Pour
le plus grand désarroi d’une bonne partie de ses fans. Pourtant il l’avait bien
précisé sur la pochette : « no bars » (pas de rimes). Après, si
ça peut ouvrir les profanes que nous sommes à l’Eveil…
L'Un.
Andre 3000 "New Blue Sun" (Epic. 2023)
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