Quel que soit son avatar, on ne
chronique plus trop les productions de Justin K. Broadrick. Parce qu’on peine à
le suivre dans cette boulimie sans fin ; parce qu’à force d’aligner sortie
sur sortie, les lignes se brouillent, lorgnant parfois vers un déstabilisant
sentiment de déjà-vu en forme de grand continuum sans queue ni tête. Les obsessions
de ce démiurge se rejoignent dans une œuvre presque trop cohérente dont les
desseins cachés se révéleraient à la fin. Je ne sais pas trop où on se situe
dans ce chemin de croix en forme d’échos lourds et de bruit blanc, et ne sais
pas non plus s’il y a vraiment une fin à une production pléthorique qui semble
être le prolongement naturel de Broadrick et surtout le meilleur exutoire à
toutes ses angoisses. Au final devant tant de matière impalpable, on se
retrouve submergé et confus, abordant chacune de ses parutions avec une
certaine circonspection. Mais Loud as Giant est un nouvel – énième - alias (qui
plus est une collaboration avec un certain Dirk Seeries), ce qui justifie ce
petit arrêt sur image (oui, la photo de la pochette a capté mon
attention !). A la première écoute de cet Empty Homes, un possible biais
peut faire penser qu’un seul homme est aux manettes, Justin K. Broadrick tirant
la couverture vers lui. Mais c’est ignorer la vieille et profonde amitié entre
les deux protagonistes, ceux-ci partageant ce goût pour les textures
granuleuses noyées dans les brumes électrifiées, les paysages désolés et
les postures introspectives. Alors oui, tout au long de l’album (ou sur les ¾
des titres) on pourrait tout à fait penser à écouter un album de JESU (encore
un…), ce projet exutoire et véritable miroir en négatif de Godflesh qu’a
développé Broadrick au fil des années. Les nuances collaboratives se cachent
dans le détail des boucles de nappes sonores finement appliquées, une rythmique
discrète et rampante qui s’impose au fil des morceaux. Les pistes se brouillent
à la croisée des chemins entre une dark ambient cinématique jamais loin,
en embuscade, et ce shoegaze aux relents industriels corrodés qui masque
(ou distille) si habilement les émotions derrière ce mur hypnotisant de résonances
insistantes et d’échos soutenus. Comme la somme de deux regards rétrospectifs
convergents sur un sacré paquet de décennies cumulées à forger le son et la
matière de la sorte dans les éthers de plus en plus éloignés. Exercice de topographie
sonore aux marges de la claustrophobie comme ont pu le faire CoH & Abul Mogard récemment dans un registre plus mystérieux, ou encore The Bug vsEarth sur des terrains arides…
L'Un.
LOUD AS GIANTS "Empty Homes" (ConsoulingSouls. 2023)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire