jeudi 21 novembre 2024

Brian ENO & Holger CZUKAY "Sushi. Roti. Reibekuchen"

"Chance Meeting on a Dissecting Table of a Sewing Machine and an Umbrella" (Nurse With Wound)

 

On s’était promis de ne plus forcément évoquer l’omnipotent et prolifique ENO dans ces pages. Parce que... Allez… Honnêtement…  Depuis pas mal d’années son travail tourne un peu en rond comme une parodie de lui-même. Le vieux gandin assis sur ses lauriers profite ouvertement de l’auréole de gloire qui l’enveloppe, trop conscient de son statut dérisoire et éphémère… Alors entre quelques travaux récents à la fadeur trop souvent consommée, il distille tranquillement ses fonds de tiroirs, rétrospectives et autres rééditions, comme d’autres sortent un lapin peroxydé  de leur chapeau avec un sourire malicieux. Mais une fois de plus il parvient tout de même :

-à créer le buzz.

-à nous surprendre précisément là où on ne l’attendait plus.

-à nous régaler (finalité de cet album au titre alimentaire ?).

Sorte de légende urbaine soigneusement entretenue, certain.e.s (peu) connaissaient l’existence des traces enregistrées de ce jam entre les 2 monstres sacrés en 98. La performance était jouée dans l’institutionnelle Kunst-und Ausstellungshalle à Bonn en introduction à une exposition d’art. Et avec quelques années d’avance sur ce qui est maintenant une norme, la captation était diffusée en streaming, petite prouesse technologique à une époque pré 2.0… Si on savait Brian ENO friand des explorations de la scène allemande (ses collaborations avec CLUSTER…), rien ne le reliait jusqu’à présent au gewaltig CAN. Les comparses étaient accompagnés d’un certain Peter SCHWALM du groupe electro-jazz SLOP SHOP (et sa section rythmique :Raoul Walton et Jem Atai) histoire de cimenter le tout. Mise en place directe et fusion spontanée avec l’inaugural et rampant Sushi aux sonorités organiques bien marquées. Si l’impro est une mayonnaise (pour filer la métaphore alimentaire), les protagonistes ont dû l’assaisonner avec ce qu’il faut de sable et de verre pilé pour plus d’adhérence. Si on cherche la rencontre qui n’a jamais eu lieu entre CAN et une incarnation de Brian ENO, le verre ne sera qu’à moitié plein, les codes musicaux et moyens techniques utilisés collant résolument à l'époque contemporaine : il y a du sample, des triturations d’ondes, des relents jazzy de drum&bass aussi. Même si parfois se dessinent des échos de ce groove motorik à la Jaki LIEBZEIT, dans une ambient-tronica avant-gardiste au signal soigneusement brouillé. De toutes façons Holger CZUKAY a depuis longtemps largué les amarres nostalgiques de son collectif pour expérimenter tous azimuts ; pour le meilleur comme pour le moins meilleur d’ailleurs… De chouettes moments de flottements et d’égarements propre à cet exercice ardu de l’improvisation qui savent nous capter, nous happer. Nous ravir. Jusqu’à ce que la police débarque dans les lieux au bout de 3 heures pour couper le son. A nous, il ne nous reste que ces miettes sonores inestimables qui ont traversé le temps en loucedé. A l'orée d'un 21° siècle qui pointait son museau avec une musique immersive et très horizontale, il ne fait aucun doute que l'enregistrement de Sushi. Roti. Reibekuchen aurait pu être une référence du genre, s'il n'avait pas été soigneusement occulté...

 

L'Un.

 

Brian ENO & Holger CZUKAY  "Sushi. Roti. Reibekuchen" (GroenlandRecords. 2024)

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