Rien
ne change, l’effondrement du système se poursuit, consciencieusement. De chute
en dévastation, les sonorités restent les mêmes, les cris sont des hurlements,
le déchaînement exponentiel engendre de nouvelles fractures, de nouvelles
colères.
Bâtir
son œuvre là-dessus a contribué à ce que nous regardions ce nouvel album
d’Unsane avec l’émotion de recevoir une lettre d’un frère d’armes. Surgit dans
les années 90, le trio a d’entrée basé son travail sur un son puissant, au
confins de la noise et du métal. Nombreux furent les musiciens à se prendre une
claque lors de leurs concerts violents soniquement, attisés qu’ils sont
(encore) par les distorsions de la basse et de la guitare, traînantes et
porteuses de courtes mélodies de Fender, d’une voix écorchée, le tout appuyée
par une incroyable batterie de bûcheron.
Bûcheron
oui, mais d’une finesse étonnante : car la force se trouve ici dans le
choix précis des moments où la caisse claire claque, où des roulements vont
changer la rythmique, contrairement à ce que font beaucoup d’autres dans une
recherche technique et une surenchère. Notre bûcheron s'ingénie à produire des allumettes avec un séquoia...
Pour
la petite histoire rappelons que la batterie est tenue par Vinny Signorelli,
ancien batteur des Dots, puis des Swans et Foetus, rien que ça.
Leur
blues à eux vient des tripes comme tout bon blues. Et tant qu’ils continueront
à hurler le mal être d’une génération, leur musique continuera de se manifester
au creux de nos âmes jusqu’à ce que cela change. Enfin quand on entend ça, on a
carrément pas envie que ça change… au cœur même de l’album, ils enquillent un
hommage à l’hymne « hahaha » de Flipper combo défunt (partiellement)
que certains survivants souhaitent faire revivre ; pas de revival ici, une
réaffirmation que la génération des groupes hardcore made in 90 en avait à
dire. Ouf on est rassurés !
La
seule différence est l’élaboration d’un son extrêmement travaillé sur
l’instrument, justement retranscrit dans les enregistrements, fidèle adaptation
de la scène. La chose n’était pourtant pas entendue dans les premiers albums.
Toujours est il que depuis deux décennies, des centaines de concerts, un
line-up stable a écrit une page de l’histoire du rock. Il y a eu quelques tentatives
parallèles, qui malgré les personnels participant faisant partie du gratin
(comme dans Celan) le résultat peinait à me convaincre sur disque. Ils ont bien
fait de se concentrer finalement sur Unsane !
Dès
le premier morceau, on retrouve l’efficacité remarquée dans l’album Scattered,
Smothered & Covered. Certaines phases sont d’ailleurs proches d’un Scrape. Stuck
montrera plus loin que les nymbes peuvent parfois être proches d’eux, que
générationnellement ils furent frangins des Melvins et Nirvana, et bien
évidement de Neurosis, que l’énergie produit la technique, et que la
respiration et les silences produisent l’émotion.
Les
voilà donc posant leur rock puissant, souligné par un harmonica sur No Chance,
avançant inexorablement et lentement, comme le rouleau compresseur qu’il sont.
L’image n’est pas usurpée ou même affadie : il y a quelque chose de violemment implacable et féroce dans cet abattage qui ne laisse le terrain que
transformé. Un vide sans vrai silence, une résonance fantôme. Le souffle
intérieur de l’ancien monde moribond.
L'Autre
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