Inutile de s'en cacher : en ce qui me
concerne, la colère écrasante et sur-saturée de larsens des
mythiques Godflesh fut une influence majeure indépassable au cours
de ces 20 dernières années. Un rite initiatique et par la suite une
grille de lecture pour toute production ultérieure tendance dure,
lourde et sans concession. Les murs tremblants du Théatre de Ménilmontant se souviennent encore de leur premier passage à Paris, le
public hypnotisé et passablement assourdi aussi (ben oui, « à
l'époque », on se foutait bien de la limitation du volume
sonore...). Depuis, j'ai toujours gardé une oreille distraite mais
fidèle sur les productions pléthoriques de Justin K. Broadrick
quels que soient ses avatars (Godflesh donc, Jesu, Techno-Animal,
Pale Sketches et j'en passe) ou ses collaborations (sur un album de
Painkiller, ou encore le premier Scorn, plus récemment The Blood of
Heroes ou Necessary - derrière les manettes dans ce dernier cas).
Pour ce son de guitare à la dissonance si particulière ; pour cette
façon d'exprimer ses obsessions dévorantes en évoluant de manière
systématique à la marge de styles définis (métal « extrême »,
industriel, hip-hop, ambiant, drum & bass...) échappant de fait
à toute tentative d'étiquetage stérile, mais créant de la sorte
un pont entre toutes ces musiques, un lien ténu mais par la suite
évident.
JK Flesh est le pseudo utilisé par
dérision avec K-Mart (Kevin Martin) au temps de Techno-Animal. Là,
il est utilisé par JkB pour marquer son retour solo, certes, mais
dans une veine proche sinon parallèle aux égarements hip-hop-indus
de Techno-Animal. A moins que ce ne soit quelques étages en dessous
du rez-de chaussée : car là, on ne rigole pas. Il semble que JkB
ait délibérément emprunté le chemin inverse à la veine lumineuse
et extasiée de Jesu, son projet précédent, dans un accès vital de
bipolarité :
bien/mal
profane/sacré
clair/obscur
alpha/oméga
… comme autant d'extrêmes opposés
s'équilibrant en leurs centres vides. Besoin, après s'être
débarrassé des scories encore fumantes de Godflesh avec le doux
Jesu, de renouer avec ses amours/haines initiales parce qu'inhumains,
trop inhumains. « Subhuman », c'est l'intégration
verticale du savoir-faire et des tensions accumulés dans les projets
précédents au service d'une claustrophobie sans retour, le seul
constat jugé viable (mais peu enviable) qui s'imposait à Justin
Broadrick par ces temps cruels qui courent et s'essoufflent. On
retrouve LA guitare de Godflesh, grain abrasif et stridences
menaçantes, couplée de rythmiques au groove titubant,
souvent souligné par un jeu de cymbales hi-hat appuyé (pas loin de Scorn en somme).
Les basses restent sales et étouffées, et plus que jamais les
grognements de JkB et autres sombres ruminations sont traités et déformés
plus qu'à l'accoutumée. On avance la rage aux tripes, dans un
cauchemar bétonné qui se craquèle insidieusement pas après pas :
ce n'est pas du dubstep mais du post-step (?!), syncopes distordues
et pulsations en boucles. Une façon comme une autre d'annoncer que
les lendemains à venir ne vont pas nous sourire, mais plutôt nous
laminer la gueule ; et avec méthode. Ouais je sais, c'est pas
terrible, mais il est comme ça Justin Broadrick, prophète sonique
énervé qu'il est à titiller de la sorte une improbable post-apocalypse et un bon paquet d'emmerdes à venir... Le mieux étant peut-être de rallumer son poste de
télé une fois l'album terminé : fuck your dreams.
L'Un.
JK FLESH : "Subhuman" (3by3. 2012)
blog de Justin K. Broadrick (avec liens vers d'autres pages)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire