vendredi 30 décembre 2011

Luigi TURRA : "KI"

Et c'est LE cadeau fourre-tout de fin d'année : trois pour le prix d'un ! Cette période de pré-soldes où  le commerçant raté s'empresse de refourguer ses articles minables et invendus à d'indécis clients fauchés qui se sentent forcément obligés d'acheter pour offrir quelque chose de quelconque à un vague arrière-cousin de la branche totalement dégénérée de la famille. Sauf que là, on parle d'expression artistique, tout de même,  et que ce petit triple album est LE rescapé d'une sévère sélection  pour la dernière chronique de l'année. Pas mal d'hésitations entre le présent heureux gagnant et le somptueux dernier Kilimandjaro Darkjazz Ensemble tout de velours noir,  et l'anguleux et exigeant SeeFeel qui ferait passer le dubstep pour de la musique de fête foraine (dans une veine plus electro, y avait aussi "Metamorphosis", collaboration entre Melamin & Wicked Sway, mais le label OhmResistance a atteint son  quota annuel de chroniques sur nos pages !). Face à pareil dilemme stérile,  le mieux étant encore d'opter pour la radicalité avec ce petit objet sonore non identifié qui opère aux marges de ce qu'on entend généralement par « musique », et sa démarche peu commerciale avec ses longues plages qui s'étendent sur plus de 40 minutes chacune. Le parfait contre-cadeau, s'il en est, pour notre abruti de cousin  de basse cour élevé aux anabolisants.
Bon. On y est donc.
Ou pas vraiment.
Bouclez vos chakras à la con, laissez les sarcasmes au vestiaire,  une inspiration ventrale profonde et une dose massive de concentration comme pour un jeu télévisé. Un peu d'encens, du gravier à ratisser sous les pieds nus, tonsure de rigueur, et on va pouvoir appréhender le triple « KI» de Luigi Turra, triple anachronisme dans ce monde de pétrole brut obnubilé par l'éloge de la vitesse des échanges biaisés en bourse plutôt que par le temps qui s'écoule le long d'une rivière...
Luigi Turra est un compositeur de musique concrète italien fortement imprégné de spiritualité orientale (ben tiens), et qui recherche  le point d'équilibre auditif entre le silence et une perception tactile du fait sonore (ce qui fait plus sérieux). Il avait auparavant sorti en collaboration avec un certain Shinkei (?), « YU », une petite perle de minimalisme zen qui, en plus d'évoluer sur les marges de la musique, flirte délicatement avec les limites de l'audible. On ne va pas vraiment changer de paysage avec le présent « KI », même si cette fois on peut l'écouter sans avoir à pousser l'ampli dans ses retranchements pour capter l'essence du moment.
Malgré une apparente homogénéité des 3 disques qui le composent (1 : Enso, 2: Ancient Silence, 3 : Shasekishu), chaque morceau semblant être le prolongement naturel du précédent, « KI» est en fait une compilation de pièce écrites sur plusieurs années, certaines déjà éditées en tant que telles.
Luigi Turra, prend donc le temps de poser sa vision organique et ascétique du son sans l'imposer. Tel un moine zen en train de ratisser encore et encore son jardin de graviers blancs, il développe ses manipulations mystérieuses d'objets pas forcément identifiés, noyées dans ce qui pourrait être la vibration prolongée un gong. A l'ombre de l'évidence, il préfère la luminosité du mystère,  koan zen oscillant entre réalité crue et abstraction suspendue.
Sans réel fil narratif, le mouvement se veut ample, profond comme une lente musique d'immersion dont la sérénité qui s'en dégage est sans cesse travaillée par une tension impalpable.
La mise en relief de gestes profanes par le prisme déformant  de sons concrets,  renforcent le côté rituel presque obsessionnel, empêchant à l'ensemble de s'empêtrer dans la facilité d'une boue new-age des plus racoleuses.
Musique sans plans ni ordonnancement précis.
Juste les traces d'une errance méditative ; beauté répétée du hasard du geste.

S'il est évidemment peu digeste de s'enfiler à la suite les 2h30 cumulés des trois disques, chacun d'entre eux peut s'écouter  séparément. Quarante cinq minutes c'est déjà pas mal pour effectuer une sieste tronquée, le sens auditif en éveil, l'œil intérieur qui observe le souffle de sa respiration s'écouler.
Il suffit d'y croire.
En tout cas on n'aura jamais été aussi près de toucher du doigt le bruit du bruit.
Et c'est si rare, par les temps putassiers qui courent.
Happy New Ears, donc (...monsieur Cage) !

L'Un. 

Luigi TURRA : "KI" (And/Oar. 2011)

le site minimaliste de Luigi Turra (il faut cliquer sur le texte pour entrer dans le site) et des extraits de KI et autres sur Soundcloud

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