« Au moment de la mort, en effet, l’esprit ordinaire et ses illusions meurent et, dans la brèche ainsi ouverte, se révèle la nature de notre esprit, illimitée comme le ciel » (extrait du Livre des Morts Tibétain)
Néanmoins rédiger quelques lignes inspirées ne s’annonce pas du plus aisé pour ma part, ayant longtemps strictement limité ma vision des SWANS au cathartique « Filth » de leurs débuts caverneux. Les albums suivants ont toujours laissé ce goût de plongée en apnée dans le cortex d’un grand dépressif chronique. Ce n’est qu’après cette pause de près de 15 ans et ce puissant retour en pente douce vaguement apaisée d’un My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky que le g(ou)roupe aura commencé à éveiller les sens comme l’aurait fait William Blake avec le simple vol d’un oiseau qui fend l’air. Et puis un SWANS couché sur disque reste une expérience limitée, l’entité au sombre charme polymorphe ne se révélant aux yeux de ses fidèles que lors du rituel de la scène . Mais bon, j’aurais eu entre temps la chance de rattraper ces quelques décennies après un concert halluciné où les limitations sonores plafonnées à 105 dB étaient clairement ignorées pour le salut d’un public scotché dans une salle chauffée à blanc. Plus d’excuses : le vin (de messe noire) est tiré, il faut le boire, même si on n’évitera pas les poncifs tant ils sont incontournables avec ce monument qui n’a de cesse de se réincarner.
Toujours plus balaise, toujours plus entêtant, avec plus de deux heures de litanies incantatoires où sacré et profane se confondent dans un long continuum, « Birthing » se pose en forteresse imprenable. La pochette, rond noir sur fond crème comme un écho lointain à un « Soundtrack for the Blind », jalon incontournable de leur discographie. Mais à y regarder de plus près, la forme géométrique pure fourmille d’infinis détails vibratiles comme les lentes progressions micro-tonales qui hantent l’album. Avec son art consommé du crescendo, le groupe de Michael GIRA prend le temps de poser les morceaux qui atteignent facilement la vingtaine de minutes. A l’instar de l’introductif « The Healer » c’est souvent dans les nimbes de chœurs éthérés ou flottant que tout semble commencer. Viennent ces reptations implacables qui finissent par se jeter à corps perdu ces transes incantatoires à la grandiloquence maitrisée. Comme un passeur d’âmes, SWANS se plait à phagocyter toute la lumière pour mieux la régurgiter avec son corollaire de crasse humaine et de beauté pure qui s’y accroche désespérément. Longue est la route, et ces bourdons qui s’étirent, entrecoupés de rythmes martelés, semblent convoquer quelques fantômes du passé qui hantent encore le groupe, mais on regarde en même temps vers un avenir aux contours incertains lorsque poignent babillements de nourrisson ou ce I love you mummy qui augure the Merge. Mais entretemps on aura eu plus de 20 minutes d’un « I Am a Tower » terrassant qui semble annoncer une apocalypse imminente. Plus que jamais le line-up des bucherons-tacherons de sieur GIRA fait corps, les individualités s’effaçant au profit d’un SWANS qui les transcende, exigeant et plus monstrueux que jamais. Fusion organique de cette bande de clochards célestes qui touche au sublime, comme ces photos du groupe que les portraits de groupe (clin d’œil inconscient au « Hairway To Steven » des BUTTHOLE SURFERS ?). C’est avec le tour de force de The Merge qu’on plonge au cœur d’un tourbillon WTF dans lequel se télescopent des rythmiques concassées passées au hachoir d’une matrice digitale, des grooves post-jazz reptiliens qui se fondent dans une messe apocalyptique (que n’aurait pas renié György Ligeti) pour finir avec une balade dark folk flippée - et quelques chœurs de pom-pom girls; enfin quelque chose comme ça. On en sort rincé, illuminé. Apaisé aussi, et donc paré pour un (Rope) Away final avec ce goût de requiem en glissando – crescendo extatique qui marque la fin d’un cycle bouclé sur lui-même. Ce n’est probablement qu’un au revoir : si le groupe a tout donné il est sûrement loin d’avoir tout dit dans cette obsession sans cesse remise sur le tapis de proposer à la face du monde un art total.
Âme errante en exil permanent sur son rocher solitaire exposé à la folie des hommes, Sir GIRA sous son chapeau nous résume tout ça en toute humilité : « Ce sont des êtres humains sur cette terre, et j’essaie de faire de la musique pour qu’ils aient un aperçu de leur âme. » Quel pince-sans-rire...
L'Un.
SWANS : "Birthing" (YoungGodRecords. 2025)
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