« From here to eternity » (Lee ranaldo)
Droit d’inventaire : en restant vaguement honnête, on peut affirmer que la
chronique du « Long Island » d'Endless Boogie en 2013 restera dans
les hauts faits d'armes de ce blog. Aux limites d'un sous-gonzo,
chronique d'un genre de musique qui ne rentre pas exactement dans la ligne
invisible de ce blog à trois pattes. Ecrit à la force du poignet, aidé de quelques litrons
de vinasse bon marché fleuve et les compteurs bloqués dans le rouge sur la
route Paris-Bordeaux.... Rétrospectivement, on peut se demander pourquoi un
disque qui puise ouvertement ses racines dans les vieux trucs des années 60 (à
commencer par Canned Heat ou autres ZZ Top east-coast sous le patronage
de John Lee Hooker) a pu enflammer la critique à ce point dans une époque
jeuniste, moderniste et somme toute merdiste qu’a été la décennie
précédente. Le propos est loin d’être novateur, et on pensait que des trucs
comme les Oh Sees ou les prolixes de King Gizzard & the Wizard Lizard formaient
l’arrière-garde des derniers éclaireurs d’un genre qu’on enterre régulièrement
depuis une 20taine d’années. Peut-être parce que l’anachronisme primal
d’Endless Boogie constitue l’alternative contemporaine la plus saine au blues
rock momifié d’un éternel nouvel album d’AC/DC qu’on attend avec l’impatience
d’un big mac vite englouti et vite digéré… Entre, on a eu un chouette Vibe
Killer, assez égal et introspectif qui contrastait avec le rauque abrasif du
précédent. Mêmes ingrédients, mêmes ficelles et cordes distendues, Endless
Boogie enfonce le clou rouillé et n’a de cesse de se réinventer, mais cette
fois-ci tout en contrastes et nuances.... D’emblée, on commence par ce (putain
de) looong jam épileptique de 22mn au swing binaire, guitare héroïque, histoire
de (re)poser le cadre si par hasard on avait oublié le sens de leur patronyme. Les
suivants "Disposable Thumbs" ou "Bad Calls" versent dans le format plus
conventionnel d’un heavy pub-rock rocailleux et braillard de leur album
éponyme. Puis c’est la voix feignasse de Kurt Vile qui vient taper le bœuf, contraste
apaisé qui prend le temps de s’installer à tricoter des entrelacs paresseux de
notes orphelines et un peu hasardeuses. Légère inflexion de cap avec "Jim Tully",
où on repart pour une autre de ces lo(oo)ngues dérives au climax hésitant qui va
là davantage explorer une facette plus lysergique de ces vieux briscards. Mais c’est
le final en deux temps, point d’orgue plombé qui donne à « Admonitions »
cette dimension casse-gueule. Les 2 derniers morceaux (qui pourraient presque
fusionner) font table rase pour se concentrer avec « The Conversation »
sur un rythme métronomique et décharné à l’extrême ponctué de quelques
ronflements de guitare étouffée et des bribes de soliloque vaguement menaçant.
Le sibyllin « The Incompetent Villains of 1968 » se contente lui
d’étirer un riff solitaire, tout engoncé dans les graves râpeuses, coup de
cafard automnal d’un lendemain de cuite dans le sous-sol d'un studio d'enregistrement déserté et humide… Même
les ultras de Pharaoh Overlord n’auraient pas osé pousser le concept dans ses
retranchements les plus arides. Si ce genre de direction restera sans doute
une voie sans issue, le quatuor de
Brooklyn démontre qu’il est capable de passer de la transe biéreuse et bon
enfant à des introspections neurasthéniques dont le plus petit dénominateur
commun réside dans une savante maitrise de l’hypnose… Le vieux John peut se retourner
tranquillement dans sa tombe en sirotant un bourbon, un scotch ou une
bière avec (et AC/DC enfin prendre leur retraite) : la relève est assurée.
L'Un.
ENDLESS BOOGIE "Admonitions" (NoQuarter. 2021)
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