La dernière fois qu’on a glosé
sur ce thème, on s’était tout de même fendu d’une petite liste conséquente
d’albums recommandables. C’était en 2018…. Depuis un virus chinois est passé
par là, faisant oublier quelques tragédies anonymes au milieu de la méditerranée,
une chouette guerre pointe son petit museau aux portes d’une Europe anémique et
shootée aux hydrocarbures, et pour la première fois dans notre courte histoire,
on se dit qu’il n’est pas improbable qu’on ne passe nos étés sur les plages de
plus en plus étriquées du Cap Ferret sous des températures moyennes de 50°C. Best-of de l’année écoulée donc ? Alors vous imaginez
bien qu’on a d’autres choses à foutre que de se taper un sempiternel récapitulatif
d’une année pourtant révolue, ce rapide coup d’œil en arrière à peu près aussi
indigeste que la dinde aux marrons repassée d’un repas de noël dysfonctionnel.
Figure de style rituel rassurant ou exercice consacré des webzines moribonds, pour
notre part on va rester dans notre zone de confort, en embuscade, et éviter
consciencieusement un best-of maigrelet au vu du nombre insignifiant de
chroniques qu’on est à peine capable de pondre annuellement. Exercice de rattrapage light donc, avec 2 albums, deux
seulement, qui méritent quelques lignes et toute notre attention (et votre
compréhension).Et bonnes agapes !
On tient peut-être là le dernier de la série des live de
CAN méticuleusement réédités par Spoon Records (le label d’Irmin Schmidt,
dernier survivant du quatuor mythique qui coulent de beaux jours dans le sud de
la France). Il est vrai que le collectif enregistrait de façon systématique
toutes ses performances, et sessions de répétitions (ce qui nous avait déjà
donné le fabuleux coffret des Lost Tapes). A la différence des albums live
précédents (Stuttgart et Brighton), ce Cuxhaven est présenté dans un format
plutôt ramassé, la captation tenant sur un seul disque (pour une trentaine de
minutes). Sans chanteur, cette période de concert surfait sur de longues
improvisations erratiques, vaguement tricotées à partir de thèmes récurrents et
offrait la part belle à des moments paroxystiques, points d’orgues nécessaires
pour entretenir la tension. Ici, point de réelles envolées, mais plutôt une de
ces pulsations métronomiques si chère à Jaki Liebezeit qui emmène les autres
membres du groupe dans un jam continuel, sorte de swing cosmique et funky aux
vertus hypnotiques. Quatre pistes presque trop courtes, amputées des climax
paroxystiques auxquels nous avaient habitués les 2 live précédents. Pour la montée d’adrénaline, il faudra compter sur la piste
Drei qui nous embarque dans un tourbillon d’accélérations soutenues, cavalcade
héroïque d’un quatuor en totale symbiose. Par moment, on retrouve de vagues
accents de ce qu’on dû être les transes collectives de Tago Mago, en plus
accessible… Car si les deux précédents sont plutôt orientés pour les fans
hardcore du groupe (et rassurez-vous : il y en a), celui-ci avec ses
rythmes chaloupés et réguliers plaira à un plus large public. Après… pas sûr
non plus que ce soit la meilleure porte d’entrée pour les primo arrivant dans
l’univers contrasté et passionnant du CAN….
D’Arooj Aftab, je ne connais pas grand-chose. Ce que je
sais en revanche c’est que son Vulture Prince n’a pas cessé de tourner sur ma
platine durant ces derniers mois, bouée de sauvetage et havre de paix sur la fameuse
île déserte. Alors si vous êtes toujours en quête d’un best-of au fil de ces
lignes, pour ma part, il se limiterait amplement à cet unique album qui surpasse
à peu près tout ce que mes oreilles ont pu découvrir en 2022 (sauf les albums
et artistes chroniqués, cela va sans dire…). En conjuguant néo-classicisme,
ambient minimaliste et une grande part de tradition soufie, Arooj Aftab fait un
splendide saut dans le vide en forme de grand écart intimiste. Offrant une
musique profondément apaisée et introspective, nappée d’un sombre velours
flottant, la musique se transcende ici à tutoyer les éthers en eaux profondes.
A l’exception d’un tubesque Last Night en forme de reggae acoustique, Arooj va
abondement puiser dans ses racines du sous-continent indien, où la poésie métaphysique
est empreinte d’une mélancolie suave. Parfait pour méditer et prendre de la hauteur sur une année 2023 qui
s’annonce déjà tumultueuse…
L'Un.
CAN "live in Cuxhaven 1976" (Spoon. 2022)
Arooj AFTAB "Vulture Prince" (Verve. 2022)
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