mardi 15 juillet 2014

BLACK FLAG : "Get in the van" de Henry Rollins et la bio "Spray paint the walls" par Stevie Chick


Henry Rollins est une bête de scène tatouée. Un punk rock kid lambda devenu  icône à son corps défendant. Henry Rollins ne sait pas écrire : il écrit et crache ses tripes le plus lucidement du monde, de la même façon qu'il arracherait les pattes à un lapin tout en vous fixant froidement. Henry Rollins aime trop dire « je », même s'il ne s'apprécie guère.
Henry Rollins n'écrit pas : il sue, saigne et transpire.
Sous la forme d''un journal de bord édité des années plus tard, « Get In The Van » relate de ses années obscures passées au sein du légendaire et toujours aussi peu reconnu combo hc/punk californien Black Flag, de 1981 à 1986. Soudainement exposé à trop violence, à un rythme intensif de tournées à rallonge, inconfortables et éreintantes, l'expérience intime de Rollins vire à un cauchemar sans fond parallèlement à une popularité grandissante. On flirte non sans complaisance avec la dépression, l'aliénation, la haine de soi et du monde environnant perçu comme hostile.
Rollins se la joue Rollins.

Mais au-delà de cette rage aveugle d'un narcissisme opaque, l’auteur nous livre aussi un témoignage brut et cru vécu de l'intérieur de ce que pouvait être la vie d'un petit groupe de punk rock aux débuts quasi mythiques de ce qu'on appellera plus tard le mouvement alternatif ou indépendant. Les rapports souvent conflictuels avec le public (Black Flag ayant toujours traîné derrière lui cette sale et ambiguë réputation de violence), entre les musiciens, le manque chronique d'argent, la faim, les flics bornés et omniprésents, et la plupart du temps à tuer à bord d'un van à écumer l'asphalte (en écoutant ZZ Top, MC5, Black Sabbath, Neil Young ou du free jazz au grand désespoir de leurs fans monomaniaques et limités du bulbe).
Le tout étant documenté de  photos rares, iconographie d'une petite histoire parallèle, même si on peut décidément reprocher à l'auteur de tirer la couverture de ce média vers lui.
Aussi, les puristes pourront toujours regretter que ce soit Rollins qui tienne un journal, amputant de ce fait les 3-4 années antérieures à l'arrivée de ce dernier, jugées par beaucoup (et Rollins lui-même...) comme étant les plus flamboyantes et hautes en couleurs (noires). 


Et c’est là que « Spray paint the walls ; l’histoire de Black Flag » de Stevie Chick, loin de l’exercice de style hanté du bouquin précédent, vient lever le voile sur l’histoire du groupe. Depuis des années je l’attendais sans y croire, cette bio méritée des pionniers acharnés d’une musique libre, rageuse et jusqu’au-boutiste, modèles d’intégrité sans vraiment l’être : un groupe qui aura vu passer 4 chanteurs, 2 guitaristes, 4 batteurs et 3 bassistes, au gré des modes et des emmerdes. Un groupe parmi les premiers « indépendants », avec les Dead Kennedys, à établir un véritable réseau de tournées sur le continent nord-américain jusque-là inexistant, sur un mode DIY (do it yourself), éditant leurs disques et ceux des potes sur leur propre label , celui_ci (SST) devenant une des références incontournables de l’époque, pour ne pas dire un des meilleurs labels indés des années 80’s (on parle là des Bad Brains, Sonic Youth, Hüsker Dü, Meat Puppets, Dinosaur Jr et autres Minutemen…).
Le livre n’apprendra rien sur la trame de l’histoire  du groupe en elle-même, celle-ci déjà abondamment documentée ça et là sur le net. Mais la multiplication des points de vue (du membre du groupe au pote, journaliste ou promoteur local…) aidera à comprendre les dynamiques intimes de l’aventure tout en éclairant les faits sous des angles extérieurs des plus différents. Au bout du compte on se rend compte que Black Flag est le projet attardé d’un geek avant l’heure (Greg Ginn, guitare) qui en rencontre d’autres (Chuck Dukowski – basse, Keith Morris – chant), issus du même quartier d’une banlieue prolo de L.A, des gars vaguement influencés par la vague punk (on peut faire du rock sans technique et crier ses tripes), qui resteraient finalement toujours en dehors de cette mode éphémère de poseurs incapables d’aligner plus de trois notes ente deux cuites : même dans leurs débuts, les membres de Black Flag passaient des heures dans leur squat, à répéter jusqu'à l'épuisement leur set-list alors limitée à 5 ou 6 morceaux. Jusqu’à une certaine idée de la perfection, aussi bruyante et viscérale fut-elle. Une discipline de fer qui aurait à coup sûr la peau de certains des musiciens, contribuant sans nul doute à étioler l’unité du groupe quand bien même eut elle existé à un moment donné.
Aussi, à l’heure où internet n’existait pas, les modes restant circonscrites, vaguement relayées par d’obscurs fanzines photocopiés qui circulaient au rythme du courrier, des cassettes échangées ou du bouche à oreille, Black Flag avait décidé de répandre la bonne parole là où on ne les attendait pas, écumant les bars et salles des fêtes des villes les plus reculées du pays. Avec un, puis deux vans, une sono embarquée, une avalanche de décibels et des centaines de concerts au compteur.
Projet devenu monstrueux à force de tournées acharnées où les égos s’entredéchiraient dans le silence et les non-dits, incompris de leur public dans ses revirements de style abrupts, c’est peut-être la mégalomanie de son fondateur qui aura eu raison de l’hydre, Ginn sabordant le projet en plein vol non sans avoir auparavant saqué sans raisons avouées son bassiste originel (Chuck Dukowski), un de ses meilleurs batteurs (Bill Stevenson), puis la bassiste Kira.
Non content de se satisfaire du statut envié de groupe mythique indépassable, Black Flag a récemment défrayé la chronique du rock underground, l’autisme forcené de Greg Ginn le poussant à poursuivre en justice une bonne partie des anciens membres du groupe, certains d’entre eux effectuant une vague de concerts revival plutôt sympathiques sous le nom de FLAG, pendant que Ginn réutilisait le nom de (real) BLACK FLAG pour distiller ses solos fleuves devenus laborieux, le reste des musiciens/éxécutants  cantonnés au rôle de faire-valoir. Loin très loin d'une hypothétique éthique punk : les rockers vieillissent souvent très mal... alors qu'un simple remastering des bandes originales de la discographie existante leur aurait rendu justice. De tout ça, ne restent peut-être que ces 4 barres asymétriques qu’on taguait alors rageusement sur les murs sans conscience aucune que s’inscrivaient là, comme gravés dans le marbre, les canons d’une certaine idée de la musique rock des 2 ou 3 décennies à venir ; rien de moins.

« I’ve got to run »…


L'Un.

Henry ROLLINS : "Get in the van" ( 21361. 2005) - non traduit en français
Stevie CHICK ; "Spray paint the walls, the story of Black Flag" (CamionBlanc. 2013)

THE "Flag" avec le chanteur Ron "Chavo" Reyes, circa' 80



avec  Dez Cadena ou Henry Rollins au chant.



live 84' in UK, line up Ginn-Kira-Stevenson-Rollins.


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