mercredi 6 novembre 2024

BUÑUEL "Mansuetude"

« Malheureusement, ces combinaisons admirables sont en train de disparaître. Nous assistons à une effroyable décadence de l'apéritif, triste signe des temps. Un de plus ». (Luis Bunuel)

 

 

 

Au bout de quatre albums, on ne peut plus vraiment considérer BUÑUEL comme le petit baise-en-ville exutoire du colosse Robinson. Tel un Hannibal sous testostérone, il semble avoir définitivement franchi le Rubicon de la barrière transalpine pour poser ses valises et son seum dans la cité turinoise (enfin virtuellement, la technologie faisant des miracles désormais…). L’aventure OXBOW est loin désormais, le groupe ayant plus ou moins acté sa séparation en forme de queue de poisson énigmatique après plus de trois décennies d’activité ; et d’une camaraderie que l’on croyait inébranlable. Il était temps d’aller voir ailleurs. Le chemin était déjà balisé par un Easy Way Out bien campé et deux autres albums de haute volée qui ne préfiguraient pas pour autant la claque polymorphe de Mansuetude. La formule reste pourtant la même… Alors ok, les plans et les changements de rythme se télescopent avec la même frénésie, leur noise-rock tendu passant sans véritable démarcation du (heavy) punk au (heavy) blues ou au (heavy ?) métal. Fusion-noise ? Va savoir… Free-form surtout avec une connotation cinématographique très marquée; tendance film noir. Mais toujours avec cette pointe baroque et grandiloquente, estampillée Eugene Robinson qui n’a de cesse battre le pavé contre un tas de murs érigés ça et là dans ses vaines tentatives d’auto-exorcisme rampant.

Alors quoi ? Un petit quelque chose en plus, probablement...

Comme cette poignée d’invités de classe avec entre autres Duane DENISON (The JESUS LIZARD sur American Steel ) ou Jacob « CONVERGE » BANNON sur le (très bon) Bleat

Ou avec cette aisance dans une exécution virtuose et plus incisive que jamais : on ne sait plus trop où se situent les frontières musicales de BUÑUEL, toujours plus avides de dérouler leur tapis volant trippé en plein milieu d’un ring de boxe. Pourvu que ça sue et que ça fasse (un peu) saigner les oreilles.

Ou encore avec cette production massive et monstrueuse qui homogénéise plus que jamais le sombre édifice aux allures de nef des fous survitaminée.

Au fil des 13 titres qui se succèdent sans réel temps mort, ce sont peut-être les morceaux plus calmes comme le vertigineux Leather Bar, qui font davantage la différence et aèrent cette Mansuetude par leur pesanteur plombée – le final et flippé A room In Berlin est peut-être le seul qui garde encore quelques scories Oxbow-iennes avec la part belle laissée aux divagations incantatoires de Robinson.

Ouais, ça transpire et ça saigne comme dans un western spaghetti (certes sans Morricone).

Swamp-blues electrifié et saumâtre pour ceux qu’un appel d’air malsain fascinerait encore. Un grand écart italo-américain en forme de quatuor parfait.

Et en plus c’est sur SKIN GRAFT, ce label qui en a fait rêver et baver plus d’un.e  au mitan des années 90’s, alors….

 

 

 

L'Un.

 

BUÑUEL "Mansuetude" (SkinGraft/Overdrive. 2024)

 

 

 

vendredi 25 octobre 2024

v​Ä​ä​ristymä : 2014 - 2024

« On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même » (vieil adage populaireiste)

 

La musique de v​Ä​ä​ristymä est à l’image des trémas qui parcourent son nom : pétries de glitches, de bips et empreinte d’une étrangeté bien familière.   "2014 – 2024" : titre d’album en forme de rétrospective où le making-of a autant d’importance que le résultat. v​Ä​ä​ristymä c’est des années à expérimenter des bidouillages do it yourself  de deux finlandais qui découvrent tout un monde de possibles qu’offre la musique électronique. Partis de presque rien (des micros, un radiocassette…), puis armé d’un synthé basique, la poursuite de leurs explorations était en partie frustrée par leurs limites techniques et matérielles : alors autant sculpter les sons inouïs à l’aide d’outils dédiés. Graduellement, les synthés ont été remplacés par des oscillateurs et circuits électroniques fait maison. Ça parait tellement simple ; comme une leçon de classe. Et ça ouvre un paquet de portes sur des univers infinis, improbables. Indéfinis. Laboratoire aseptisé d’où fuitent des rêveries au grain analogique. Des thérémines en roue libre évoquent les contours borderline de contrées brouillardeuses et d’espaces feutrés et pulsatifs. Les échos de forêts distantes se font tropicales sous ces latitudes toutes boréales : la route est longue, les continents à traverser monolithiques et en pointillés. S’il y a un évident rapprochement à établir avec les compatriotes de PAN(@)SONIC,  v​Ä​ä​ristymä a délaissé la rigueur technoïde et clinique  pour une déclinaison contemplative plus horizontale et erratique… Un ovni à d’ores et déjà classer dans les meilleurs albums de l’année, catégorie électro à gros sabots analogiques.

 

L'Un.

v​Ä​ä​ristymä  :2014 - 2024 (UnexplainedSoundsGroup. 2024)

mercredi 9 octobre 2024

The BUG "Machine" / The BODY & DIS FIG "Orchard of a Futile Heaven" / UNIFORM "American Standard"

"Rien ne vaut la peine de rienIl n'y a plus rien...Plus, plus rien" (Léo Ferré)

 

A part peut-être une attirance marquée pour les infra-grésillements pré-apocalyptique qui saturent l’air vicié de notre contemporanéité au bord du gouffre, quel est le point commun entre ces trois entités ? Pour faire simple, The BUG (aka Kevin Martin) a collaboré avec DIS FIG, cette dernière avec The BODY qui eux auront prêté main forte aux gars d’UNIFORM. Entre musiques extrêmes ou postures underground aux avant-postes, les frontières sont poreuses et les collaborations coulent de source et renforcent les connexions souterraines.


Quitte à se râper les oreilles, autant commencer en souplesse avec les reptations dub-esques du vétéran Kevin MARTIN. Avec ses esquisses corrodées de beats squelettiques et étouffés, son dernier "Machine" convoque autant les grands espaces introspectifs tissés sur l’erratique "Concrete Desert" (avec Dylan "EARTH " CARLSON) que son récent   "Fire", aux rythmes plus affirmés (et peuplé de guests de chois derrière le micro, ce qui n'est pas le cas ici). L’exercice de séclusion instrumentale révèle la vacuité menaçante larvée derrière ses boucles lancinantes. On pense à une version anémiée d’un SCORN passé au compteur Geiger. Ni réconfortant, ni vraiment excitant : "Machine" distille suffisamment de groove statique empoisonné gras pour anesthésier toute velléité. Parfait pour passer des journées grommeleuses à attendre le jour d’après, avachi dans son vieux canapé. 
 
C’est probablement ce canapé dangereusement douillet tissé avec The BUG sur un "In Blue" monocorde que Felicia CHEN (aka DIS FIG) aura délaissé : en quête de sensations plus contrastées,  En quête de sensations plus fortes, autant aller voir ce qui se passe sous la lumière blafarde de The BODY. Duo spécialisé dans des collaborations tous azimuts avec une attirance marquée pour des terrains (très) bruyants (on parle de THOU, BIG/BRAVE, FULL OF HELL… et UNIFORM), on en arrive à oublier qu’ils ont aussi produit d’excellents albums sous leur seul patronyme. Des albums pétris de bruits et de fureur synthétiques. Bonne pioche pour DIS FIG que d’avoir frappé à la porte des schizophrènes à capuche : la rencontre s’avère symbiotique, le matériau sonore produit à la fois dense, incandescent et cousu de velours noir anthracite. Simple juxtaposition d’univers respectifs, croisements de textures systématiquement granuleuses ou fusion abyssale ? La réponse est ouverte et permet surtout à Felicia CHEN de dévoiler pleinement son potentiel dans cet exercice cathartique aux accents incantatoires perturbés. Une navigation au signal brouillé dans des confins où les notions de bien, de mal ou encore de possible rédemption ont souvent tendance à faire corps commun. Un univers post-industriel le plus souvent gothique qui tend à se rapprocher du travail de LINGA IGNOTA pour les contemporain(e)s ou encore JARBOE & NEUROSIS… Voire du dernier PORTISHEAD pour cette machinerie implacable (le papier abrasif en option).

 

C’est après leur imparable "Long Walk" que UNIFORM aura croisé les démiurges et omniprésents The BODY dans ce long chemin de croix sur les genoux. Avec ces parrains tutélaires tout désignés, ils sortent alors un "Everything That Dies Someday Comes Back" définitif, claustrophobe et enragé. Mais loin de s’arrêter là, le groupe a choisi de laisser derrière lui cette formule en duo connotée indus et tribale pour fortement doper leur son à grand renfort de métal. En quintette cette fois, flanqué de 2 batteurs et le bassiste d’INTERPOL. Les thématiques chez UNIFORM n’ont jamais été des plus joyeuses, et cet album qui emprunte son nom à une célèbre marque de sanitaires (les Jacob Delafon version u.s…) nous colle le nez devant l’évidence : celle d’une cuvette de chiotte. On y parle du dégout de soi, d’addiction, de boulimie.  Leur sludge fielleux s’ouvre sur des injonctions presque militaires d’un Michael BERDAN aux hurlements de gorge toujours plus décharnés. Les martellements et grommellements convulsifs nous entrainent d’une traite sur une première plage de plus de 20 minutes. Férocement désespérée, cette lourdeur saturée expiatoire n’est pas sans rappeler du GODFLESH sur le fil émoussé d’un rasoir sur-vitaminé. Expérience punitive jusqu’au-boutiste qui pousse dont on ne ressort que terrassé ; ou accablé (si on en sort).
 

On navigue avec aisance dans un marigot d’eaux lourdes et saumâtres à arrière-goût tenace de cauchemar mécanique. Des œuvres pas vraiment en phase avec nos tentatives désespérées d’installer un cercle zen et harmonieux dans le cadre paisible de nos existences infra-ordinaires. Mais qui colle si bien à l’envers du décorum de notre contemporanéité sise au bord d’un abîme confortable. 

Ne resterait plus qu'un The BUG vs UNIFORM pour boucler cette spirale infernale ?



L'Un.

 

The BUG "Machine" (Relapse. 2024)

The Body & DIS FIG "Orchard is a Futile Heaven" (ThrillJockey. 2024)

UNIFORM "American Standard" (SacredBones. 2024)