jeudi 2 mai 2024

EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN "Rampen (Alien Pop-Music)"

"Il tape sur des bambous et c'est numéro un. Dans son île, on est fou comme on est musicien. [...] Il fabrique sa musique et ça lui va bien" (Ph. Lavil)


Allez chiche ? On s’attaque à un monument de la pop-Kultur en béton armé, une œuvre de déconstruction massive. La formation au nom imprononçable pour un non-germanophone (et surtout incompréhensible par un Allemand lorsque on le prononce…) menée d’un gant de velours par un Blixa BARGELD règne, altiere et sans réelle concurrence depuis plus de 4 décennies. Carrière exemplaire d’un groupe qui ne s’est jamais retrouvé dans l’étiquette « industrielle » qu’on a pu lui apposer (à raison), avançant à la place un discours puisant aussi bien dans les thèses dadaïstes, que le théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, ou dans des pseudo justifications économiques. Quelques coups de marteau-piqueur dans les fondations du Système plus loin (le tout accompagné d’une bonne poignée d’amphétamines), le trio du Berlin mythique des années plombées par le Mur a traversé notre époque. Plus ou moins fidèle à son esthétique originelle, avec les quelques compromissions nécessaires du temps qui passe. En exécutant cette catharsis en forme de table rase, les gars d’EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN ont pu tranquillement reconstruire un écosystème sonore complexe et idiosyncratique sur les fondations même qu’ils prétendaient ébranler. Loin du bruit et des sueurs froides des débuts, oui, mais à part AC/DC et un groupe qui s'est autrefois appelé les Rolling Stones, quel groupe avec pareille longévité est capable d’avancer sans muter et épouser l’air de sa propre temporalité sans un minimum d’exigence créative ? Alors oui, les fans de la première heure on dû quitter le train en marche depuis des lustres ; un peu à la manière de FM EINHEIT, comparse du trio des origines, qui a claqué la porte refusant les orientation prises par le collectif. Et on ne leur en voudra pas. D’autres suivront et supporteront ou pardonneront toutes les métamorphoses et faiblesses du groupe, fans inconditionnels trop conscients de ce que l’expérience NEUBAUTEN a d’unique. Sorte de prolongation métallique et un brin plus poétique d’un krautrock qui s’élevait alors discrètement outre-Rhin contre l'impérialisme culturel musique anglo-saxonne et de ce culte désuet du guitar-hero… Les opportunistes piocheront à droite à gauche au fil des humeurs dans une discographie sans réelle fausse note – il n’y a que des stridences – à l’exception peut-être de Tabula Rasa et du gros coup de mou de la période END NEU.

Alors RAMPEN débarque 4 ans seulement après un très soigné et mature Alles In Allen, sans pour autant suivre la même trajectoire. Sa pochette jaune vif frappée du fameux logo, clin d’œil appuyé à leur premier brulot Kollaps, comme un what else suffisant. Boucle bouclée ou album final du groupe ? Le terme « Rampen » (: rampe), c’est un peu le modus operandi du groupe en live. Une sorte de base de lancement pour leurs improvisations, et plus si affinités. Durant leur dernière tournée de 2022 ils ont amassé une bonne poignée de ces impros en forme de potlatch : de quoi retravailler les idées en studio et en faire un disque dans l’esprit rampant d’une alien pop-music (?), qui du coup peut tout se permettre, à force de tutoyer les éthers… Format libre et plutôt tranquille où le groupe a ressorti ses gimmicks. Le groove rigide de pulsations sourdes remplit souvent l’espace lancinant comme sur Wie Lange Noch ou Better Isses. Le 2° Ist Ist, contient juste ce qu’il faut des échos de ce qu’on pu être les climax les plus bruyants d’alors, rappelant vaguement la période du pivot et monumental Haus Der Lüge. Cette petite touche afro-incantatoire sur Pit of Language, voire afro-kraut, si si, sur un Planet Umbra qui n’est pas sans rappeler le Weil Weil Weil de l’époque Alles In Allem. On plane avec ce qu’il faut de gravité  sur un Tar & Feathers crépusculaire qui n’est pas sans rappeler Armenia des débuts ou les parties les plus sombres de Fiat Lux. Même si l’énergie brute s’est vidée de sa substance depuis longtemps, on sent que les gars prennent encore un certain plaisir à expérimenter en terrain défriché avec cette maitrise d’entomologistes bien rodés. Le groupe sait encore se faire collectif malgré le diktat débonnaire d’un Blixa aux accents de crooner déphasé quand il déclame des recettes (?) ou ingrédients (?) sur un Pestalozzi de fortune. Alors loin des années d’acier plombé ? Oui probablement… Personnellement je ne cherche pas vraiment à savoir si on tient là un des meilleurs albums du groupe ;  on a tous sa petite idée de la réponse. Il n’en reste que la voix d’EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN est des plus atypiques dans l’univers référencé de la pop-music. Une trajectoire inoxydable sans pareil, à l’instar de groupes issus de la même époque comme SONIC YOUTH ou les SWANS. Comme ils ont pu le marteler autrefois, il n’y a pas de beauté sans danger, hein, même si celle-ci s’étiole un peu avec le temps et que tout danger est soigneusement écarté depuis pas mal d’années déjà. Kosmische Musik ? Adjugé !

 

 

L'Un.



EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN "Rampen (Alien Pop-Music)" (2024. Potomak)


vendredi 19 avril 2024

CHROME : Blue Exposure

 « A quoi sert la liberté d'expression, quand on n'a rien à dire? » (J.G Ballard)

 

 

Ah ouais ? on croyait CHROME québlo cheper dans une brèche spatio-temporelle depuis fin 70’s – début 80’s. Et ils viennent de publier un album au titre racoleur. C’est étonnant aurait dit l’autre. Et leur label claironne partout qu’iol serait même le plus abordable de la discographie ; sign of the time, diraient d’autres, surtout quand les temps sont durs. Avant d’avoir la dent dure, autant balayer un peu devant ma porte histoire de lever quelques malentendus :

- CHROME ne s’est PAS arrêté lorsque Helios CREED s’est barré (période CHROME Edge ?), okay ?

- Et oui, CHROME a continué après la disparition de Damon EDGE en 1995 : période Helios CHROME, mon vieil Helios pointant son nez et ses grosses papattes pour reprendre les rênes en main à la majorité d’une voix.

- Bref, depuis 3rd From the Sun ou Blood on the Moon, je pensais le groupe définitivement relégué dans la catégorie des légendes enterrées des musiques souterraines. Si ce n’est  une tentative vaguement acclamée et vite retombée en 2014 avec Techromancy (période Helios CHROME, ok ?).

Alors CHROME ? Un retour vers le futur dystopique d’alors s’impose avec cette bande de proto-junk punks schizoïdes aussi malfaisants qu’une armée vrombissante d’insectes mutants qui a réussi à régurgiter un truc qui aura en gros posé les bases d’une esthétique brinquebalante entre indus, space-rock sci-fi et autres expérimentations noiséeuses : du pré-post-punk en quelque sorte… Les 3 ou 4 albums de cette collaboration prolifique (période EDGE-CREED donc…) restent d’incontournables piliers dans la discothèque de tout apprenti bruitiste revendiqué. Même si « The Visitation », le pré-CHROME sans Helios CREED donc, s’apparentait plutôt à (je cite) du Santana mélangé à du Eno première période.

Je pense déjà avoir égaré quelques lecteurs, et grand bien leur fasse, parce que la suite n’est malheureusement pas à la hauteur de la légende. Parce qu’on est donc en pleine période Helios CHROME. En roue libre, le géant chapeauté seul aux commandes. Déjà le titre de l’album est un clin d’œil grossier au séminal Red Exposure, le premier titre aussi, Chromosome Damage II se référant au premier chromosome encore intact de l’indépassable Alien Soundtrack. Et oui, vous l’avez vu venir : on en est loin, très loin, avec cette bouillie de riffs stoner sans inspiration et noyée dans une avalanche (dégoulinante) de larsens poussifs. On a même le droit à une espèce de balade crépusculaire embarrassante qui (au moins) dénote du reste de l’album désespérément homogène, pataud et sans relief, comme du college-rock qui s’encanaille dans les vapeurs lysergiques. Vous l’avez compris, Blue Exposure est une pénible crotte de nez en forme de faux diamant bleu qui aura autant de mal à se détacher de vos narines irritées que les morceaux peinent à décoller. Une sorte de sous-produit CHROMatique qui finira vite dans les bacs à solde de la musique underground. Au final, on se demande pourquoi Helios CREED s’acharne autant à surfer sur le cadavre d’un groupe qui n’a réellement fonctionné qu’en duo.Il se démerdait très bien avec une carrière solo exemplaire avec des productions (très) rarement aussi affligeantes que cet album bleu. Et c'est plutôt là que je l'attendais au tournant (Helios CREED donc et non Helios CHROME), Blue Exposure s'apparentant plus au passage aux délires psychés de la formation éponyme d'Helios (CREED).

Bon, c’est pas trop dans nos habitudes de descendre en vol un artiste ou un album. Faute de temps et d’énergie déjà. Et puis il vaut toujours mieux partager ce qu’on aime plutôt que de distiller des impressions fielleuses et stériles… Mais le ton de ce billet est peut-être à la hauteur de ma déception. Et surtout, c’est une invitation à revisiter la discographie, la vraie, de ce groupe mythique, soient la poignée d’albums météoriques des 6 ou 7 premières années. 

 

 

L'Un. 

 

CHROME : "Blue Exposure" ( Cleopatra. 2023)

 

jeudi 4 avril 2024

ANDRE 3000 "New Blue Sun"

"Come to Daddy..."

 

Il aura fallu pas mal d’écoutes attentives, du temps et surtout de se débarrasser de quelques à priori. Et sans illusion, s’essayer à dépasser cette accumulation de poncifs lue dans une presse consciencieusement dithyrambique. Parce qu’il fallait crever l’abcès boursouflé du buzz vrombissant à la sortie de l’album. Bah ouais, ANDRE 3000, quoi, c’est OUTkAST et son rap bling bling qui aura régné sur les années 2000. Et au lieu de se la couler douce à écouler ses royalties dans un palace de papier parce qu’il n’avait plus grand chose à prouver, il nous fait ce come-back sous la forme d’un OVNI aux contours flous et insaisissables. Caprice de star revenue de tout ou sincère illumination ? Un peu des deux, la première proposition facilitant la deuxième : parce qu’il peut se le permettre, et sans trop de comptes à rendre dans une industrie prédatrice trop occupée à scruter les courbes des ventes du filon format vinyle qui s'épuise... Et il nous la joue à rebrousse-poil, suffisamment facétieux pour annoncer la couleur avec le bien nommé premier titre à ralooonge en forme de constat indépassable : « I swear, I Really Wanted To Make A "Rap" Album But This Is Literally The Way The Wind Blew Me This Time ». Sacré Dédé va. C’est armé de sa flute céleste (instrument qu’il pratique depuis toujours), de quelques bons potes fiables (dont Tyler, the Creator) et d’un endroit bien peinard qu’il s’en va défricher ce nouveau territoire sonore ouvert à ces cinq sens. Et c’est parti pour un full tripping de 8 morceaux dont la durée est souvent corrélée à la longueur des titres les qualifiant (bon, il a réussi à faire courtaud avec « Ninety three ‘til infinity & Beyoncé »). Les plages s’étirent donc, sans autre contrainte que le cheminement intime de ces errances qui oscillent paisiblement entre new-age, jazz cosmique, une pointe d’expérimentations très organiques, le tout nimbé de grosses nappes d’ambient et d’ambiances feutrées à faire pâlir un Eno (ndlr : encore lui…) en manque d’inspiration. Musique dépourvue de business plan cynique, sans autre but qu’une navigation introspective à cœur ouvert, sensible, qui prend simplement le temps de se poser au milieu de cette hystérisation interconnectée. Ce truc, qui invoque autant le flutiau de l’inégal Herbie MANN dans ses grands moments que des borborygmes d’un Pharoah SANDERS branché sur un vieux Moog désaccordé, c’est un luxe rare qu’ANDRE 3000 a su saisir au vol en pleine conscience. Pour le plus grand désarroi d’une bonne partie de ses fans. Pourtant il l’avait bien précisé sur la pochette : « no bars » (pas de rimes). Après, si ça peut ouvrir les profanes que nous sommes  à l’Eveil…


L'Un. 

Andre 3000 "New Blue Sun" (Epic. 2023)

vendredi 22 mars 2024

SALA BESTIA : Plenty of Nothing

"Aucune bête aussi féroce" (E. Bunker)


Pas vraiment une claque dans la gueule, non. Mais une onde de choc, discrète, qui grandit en calquant son rythme sur celui d’une houle de haute mer. Une petite claque sur les oreilles quand même. Le trio parisien SALA BESTIA a opté pour une ligne claire, en se débarrassant des artifices et autres oripeaux cache-misère des productions modernes sous stéroïdes. Ce genre de son qui nous colle quelques frissons à l’idée de reprendre l’aventure là où elle a dû s’arrêter il y a une 20taine d’années. Alors vous le voyez venir, le préfixe accolé à toutes les sauces ? Encore un post- en somme. Certainement, oui, mais là, sur cet album éponyme, il parvient à prendre tout son sens sans qu’on puisse cependant réussir à mieux cerner l’objet. Alors va pour la ligne claire, le son claquant que n’aurait peut-être pas renié ce vieux radar de Steve ALBINI (d'ailleurs, c'est un gars des PAPIER-TIGRE derrière la console, hein !). Avec ce Plenty of Nothing on s’engouffre sur des terrains (post-, donc ?) souvent balisés pour rapidement se perdre sur une simple rupture de rythme matte et sèche. Un mode tension/relâche parfaitement maitrisé qui cache cette envie d’en découdre. Sous cette limpidité syncopée, même les belles embardées semblent feutrées et légèrement en retrait. L’électricité est pure. Ce choix d'une ligne claire qui souligne d'autant mieux les tourbillons d'eaux fortes qui parcourent les faux calmes de l'album. Au fil de leurs errances désabusées on retrouve en embuscade ce même souffle lyrique qui habitait The EX (période GW Sok). Tout en retenue donc (…). Ce même genre d’excitation à la découverte de trucs comme DISAPPEARS par exemple, qui vous donne l’impression de taper pile à côté de ses contemporains… Pour mieux coller à son époque : sèche, complexe… Et bientôt sans artifices.

 

L'Un.

SALA BESTIA : "Plenty of Nothing" (auto-produit. 2024)