vendredi 25 juillet 2025

WHATEVER THE WEATHER "II"

  "Les rumeurs, je m'assois dessus! C'est un coussin très confortable." (Alain Gillot-Pétré)

 

 

Sale temps pour une petite virée dans l’œil du cyclone ? Whatever… Le baromètre de nos émotions est paré pour un de ces voyages statiques sans réel commencement avec une ligne d’horizon qui ne cesse de s’éloigner. Plus habituée à produire une IDM intriquée sous son vrai patronyme, WHATEVER THE WEATHER est une sorte de side-project, version ambient, de la britannique Loraine JAMES. Au gré de sa météo intime elle pose ses valises et compose en s’accordant à la température ambiante. Si son premier affichait un spectre glacial, WtW II s’oriente plutôt vers ce genre de tonalité chaleureuses que l’on retrouve à l’aube, lors d’une courte marche improvisée sur les marges d’un désert mental. On peut parler de vignettes vagabondes, au gré des humeurs de Loraine JAMES toute occupée à les bricoler, employant des techniques de collage, de collision ou de télescopage. On est loin du drone, et des nappes éthérées débitées au kilomètre par les béotiens du genre. Whatever the music, tant que l’on prend du plaisir à la dévoyer. Car ce package  atmosphérique 2.0 ne tient dans le casque circum auriculaire qu’une fois bien ficelé, tant l’assemblage minutieux tient de l’hybridation de laboratoire. Pas un morceau ne parvient à poursuivre son chemin apaisé sans ces petites tentatives de sabotage sonore. Comme de petites extrasystoles interstellaires ou autres capsules temporelles égarées dans notre espace-temps au ralenti. Sorte d’ambient de confrontation qui brouille les pistes et fausse la donne en surfant sur les époques. Tu t’allonges, là, à laisser couler le flow continu sur tes oreilles bien pépouze, et whatever t’envoie ces petits clins d’œil appuyés plein de glitch & bleeps tout droit sortis des années 2000 2.0. Quelques échos rémanents et la touche de dub nécessaire pour liant. Et ces field-recordings insidieux qui s’incrustent dans les compos comme ce vibreur de téléphone en mode silencieux, sorte de reset sur notre époque parasitée par l’ivresse de la vitesse digitale. Discrètement idiosyncratique, la musique de Loraine JAMES est interstitielle et se veut surtout espiègle. Une qualité rare dans le pré carré de la musique ambient… Et dans notre contemporanéité rongée par l’égo, la vanité des choses et ce climat qui part en sucette. Whatever, fuck.
 

L'Un.

Whatever the Weather : "II" (GhostlyInternational. 2025)

mercredi 9 juillet 2025

SWANS : Birthing

« Au moment de la mort, en effet, l’esprit ordinaire et ses illusions meurent et, dans la brèche ainsi ouverte, se révèle la nature de notre esprit, illimitée comme le ciel » (extrait du Livre des Morts Tibétain)

 

 


Le dernier SWANS ? Vous voulez dire encore un ? Après cette récente trilogie To Be Kind,  leaving meaning, The Beggar que l’on croyait définitive passé une quarantaine d'années d’un activisme sonique forcené aux frontières d’un bruit expiatoire. Michael GIRA et ses exécutants pouvaient crânement s’en tenir là, pas peu fiers d’avoir offert au monde impie leur vision païenne de l’extase en perpétuelle expansion. Mais non, il fallait bien se fendre d’une (re-)naissance avec ce Birthing aux forceps.

 Néanmoins rédiger quelques lignes inspirées ne s’annonce pas du plus aisé pour ma part, ayant longtemps strictement limité ma vision des SWANS au cathartique « Filth » de leurs débuts caverneux. Les albums suivants ont toujours laissé ce goût de plongée en apnée dans le cortex d’un grand dépressif chronique. Ce n’est qu’après cette pause de près de 15 ans et ce puissant retour en pente douce vaguement apaisée d’un My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky que le g(ou)roupe aura commencé à éveiller les sens comme l’aurait fait William Blake avec le simple vol d’un oiseau qui fend l’air. Et puis un SWANS couché sur disque reste une expérience limitée, l’entité au sombre charme polymorphe ne se révélant aux yeux de ses fidèles que lors du rituel de la scène . Mais bon, j’aurais eu entre temps la chance de rattraper ces quelques décennies après un concert halluciné où les limitations sonores plafonnées à 105 dB étaient clairement ignorées pour le salut d’un public scotché dans une salle chauffée à blanc. Plus d’excuses : le vin (de messe noire) est tiré, il faut le boire, même si on n’évitera pas les poncifs tant ils sont incontournables avec ce monument qui n’a de cesse de se réincarner.

 

Toujours plus balaise, toujours plus entêtant, avec plus de deux heures de litanies incantatoires où sacré et profane se confondent dans un long continuum, « Birthing » se pose en forteresse imprenable. La pochette, rond noir sur fond crème comme un écho lointain à un « Soundtrack for the Blind », jalon incontournable de leur discographie. Mais à y regarder de plus près, la forme géométrique pure fourmille d’infinis détails vibratiles comme les lentes progressions micro-tonales qui hantent l’album. Avec son art consommé du crescendo, le groupe de Michael GIRA prend le temps de poser les morceaux qui atteignent facilement la vingtaine de minutes. A l’instar de l’introductif « The Healer » c’est souvent dans les nimbes de chœurs éthérés ou flottant que tout semble commencer. Viennent ces reptations implacables qui finissent par se jeter à corps perdu ces transes incantatoires à la grandiloquence maitrisée. Comme un passeur d’âmes, SWANS se plait à phagocyter toute la lumière pour mieux la régurgiter avec son corollaire de crasse humaine et de beauté pure qui s’y accroche désespérément. Longue est la route, et ces   bourdons qui s’étirent, entrecoupés de rythmes martelés, semblent convoquer quelques fantômes du passé qui hantent encore le groupe, mais on regarde en même temps vers un avenir aux contours incertains lorsque poignent babillements de nourrisson ou ce I love you mummy qui augure the Merge. Mais entretemps on aura eu plus de 20 minutes d’un « I Am a Tower » terrassant qui semble annoncer une apocalypse imminente. Plus que jamais le line-up des bucherons-tacherons de sieur GIRA fait corps, les individualités s’effaçant au profit d’un SWANS qui les transcende, exigeant et plus monstrueux que jamais. Fusion organique de cette bande de clochards célestes qui touche au sublime, comme ces photos du groupe que les portraits de groupe (clin d’œil inconscient au « Hairway To Steven » des BUTTHOLE SURFERS ?). C’est avec le tour de force de The Merge qu’on plonge au cœur d’un tourbillon WTF dans lequel se télescopent  des rythmiques concassées passées au hachoir d’une matrice digitale, des grooves post-jazz reptiliens qui se fondent dans une messe apocalyptique (que n’aurait pas renié György Ligeti) pour finir avec une balade dark folk flippée - et quelques chœurs de pom-pom girls; enfin quelque chose comme ça. On en sort rincé, illuminé. Apaisé aussi, et donc paré pour un (Rope) Away final avec ce goût de requiem en glissando – crescendo extatique qui marque la fin d’un cycle bouclé sur lui-même. Ce n’est probablement qu’un au revoir :  si le groupe a tout donné il est sûrement loin d’avoir tout dit dans cette obsession sans cesse remise sur le tapis de proposer à la face du monde un art total.  

Âme errante en exil permanent sur son rocher solitaire exposé à la folie des hommes, Sir GIRA sous son chapeau nous résume tout ça en toute humilité : « Ce sont des êtres humains sur cette terre, et j’essaie de faire de la musique pour qu’ils aient un aperçu de leur âme. » Quel pince-sans-rire...




L'Un.

 


SWANS : "Birthing" (YoungGodRecords. 2025)


vendredi 27 juin 2025

NURSE WITH WOUND - SCANNER "Contrary Motion"

 Rencontre du 3° type.


« Fantôme élégant » (sic) de la scène expérimentale, Steven STAPLETON (aka NURSE WITH WOUND donc) n’a jamais renâclé à croiser le fer avec ses pairs obscurs. Mais une collaboration avec Robin RIMBAUD (aka SCANNER, ectoplasme des ondes courtes et flâneur électronique) peut étonner tant les univers respectifs coexistent depuis des lustres sur des trajectoires strictement parallèles. Mais ainsi se font les rencontres et se forgent les sympathies. Ça faisait longtemps qu’ils échangeaient sur l’art, la musique et la philo, alors quoi de plus logique que de traverser le pont stylistique qui les séparait encore : parce que la musique ne se borne pas à des étiquettes et des catégories étriquées, capable, dans ce Contrary Motion, de s’agglomérer, pour déboucher sur ces petits écosystèmes sonores au trouble inouï. Le substrat est fourni par STAPLETON, soit une heure de ses masses électroacoustiques verticales (tout droit sorties de son chapeau) que SCANNER peut s’approprier en toute liberté avec ses parasitages de fréquences radios, voix de l’éther et autres sons collectés au fil des années. Perce même parfois le chant des oiseaux, discrètement occulté par les cliquetis métalliques de ce Golem organique tapi dans nos strates inconscientes. La Bête ainsi modelée impose sa respiration d’harmoniques rampantes et de fines pulsations. Lent panoramique amniotique aux relents industriels dont la luminosité opaque ne cesse de se renforcer au gré des mouvements contraires. Ambient music insécure qui disperse son hypnose insidieuse par les canaux mycorhiziens enterrés sous nos pieds. A dose homéopathique, il en va de soi.

 

L'Un.

 

NURSE WITH WOUND - SCANNER "Contrary Motion" (Alltagsmusik / United Dairies. 2025)

 

jeudi 5 juin 2025

DIVIDE AND DISSOLVE " Insatiable"

 « J'ai vu des gens commettre de grands actes de mal sans jamais être heureux, et des gens commettre de grands actes d'amour, toujours heureux » (Takiaya Reed guitariste de D//D)


 Et c’est toujours la même antienne : mais comment peut-on passer à côté d’un truc aussi essentiel des années durant ? Chemin de croix de faux derche et papissam habemus de rigueur, sur le chemin de la repentance. DIVIDE & DISSOLVE : tout un programme derrière ce nom. Austère et vaguement menaçant. Depuis presque une dizaine d’année, les deux  musiciennes aux origines afro-indienne et maori s’adonnent à la pratique d’un doom sec et minimaliste, débarrassé de tout le folklore occulte pour se concentrer sur la puissance brute et expiatoire du son. Insatiable donc, avec ce goût amer de requiem qui invite l’auditeur à ressentir tout le poids des oppressions passées et de tous les combats à venir ; celui de toutes les minorités. Une dizaine d’histoires sans paroles comme autant d’accusations à charge libératoires qui nous mettent dos au mur du son, sans lamentations aucunes. Depuis l'introductif « Basic » (2017) le son de DIVIDE & DISSOLVE s'est étoffé, délaissant ce côté sourd et rampant d'un duo doom brut de décoffrage pour une matière de plus aérée, entrecoupée d'interludes orchestraux. L’introductif « Hegemonic » distille de fragiles fragments aux accents hachés de liturgie profane avant de céder la place au culte d'une guitare fougueuse tout en aplats granuleux et de la batterie lentement et lourdement martelée. Des cathédrales s'effondrent sous le poids de leurs assauts, quand point au loin une inquiète lueur de bienveillance... Cette mise en tension viscérale rythme l'enchainement des morceaux et le propos sous-jacent qui oscille entre colère, destruction et compassion. Parce qu’au final, la seule libération possible, on l’a ancrée au plus profond des tripes. DIVIDE & DISSOLVE ? C’est un peu SUNN O))) qui rencontre EARTH, mais avec un message mutique éminemment politique à transmettre haut et fort. 

  

L'Un.

DIVIDE AND DISSOLVE "Insatiable" (BellaUNion. 2025)

lundi 19 mai 2025

Miki YUI : As if

"Ce qui empêche l'homme d'accéder au bonheur ne relève pas de sa nature, mais des artifices de la civilisation." (C. Levi-Strauss)

 

Les retours d’excursions au cœur des forêts tropicales ont souvent profondément affecté le mental des musiciens en quête d’inspiration. On pense évidemment à Francisco LOPEZ, bien focus sur le phénomène sonore avec La Selva, ou encore Elaeis guineensis, trip initiatique de Thomas TILLY (TÖ) perdu dans la jungle guinéenne. Immersif par essence cet écosystème fermé sur lui-même et poumon (ou baromètre) de notre planète n’a de cesse de fasciner par sa complexité organique. Et visiblement Miki YUI ne s’est pas forcément remise de son escapade à Manaus, le seul exutoire possible résidant dans cet As If quasi ascétique.

As If. Comme si…. 

 

Plutôt habituée à distiller une électronique d’effacement, cet album est plus assertif, direct. C’est dans des brassées de câbles de synthé modulaire que l’artiste s’essaie non à reproduire cet environnement mais plutôt à établir un parallèle analogique. Comme le pendant fictif de cette réalité sonore foisonnante et insaisissable. As If insuffle dans ses compositions une part de cet imaginaire luxuriant pour rendre l’expérience d’écoute attentive plus tangible. Mais au-delà de l’apparente évidence de cet exercice de mimétisme électronique, un univers sonore autonome se développe lentement morceau après morceau. Forme et fond resserrées : on voit presque les manipulations et modulations  opérées sur le synthé. Le son prend parfois une forme humide voir liquide. Bruissante, ou nichée dans des fréquences insectiles. Au fil des morceaux, une certaine abstraction prend le dessus, et le parallèle de départ s’estompe pour atteindre un état de stase cerné par les échos fantomatiques de la machine.

C’est chouette de constater qu’on peut encore s’émerveiller à écouter l’enchantement du monde ; de ce côté-ci ou de l’autre côté du miroir sans tain...

 

 

L'Un.

 

Miki YUI : "As if" (HallowedGround. 2024).