"Emmenez-moi autour de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles" (C. Aznavour)
On est pas bien là, niché au cœur de ce
finistère de l’europe à contempler les étoiles, l’océan qui se déroule vers une
immensité de possibles, un verre de vinho verde à la main pour toute
contrainte ? C’est peut-être ce que pensent et vivent au quotidien les
trois gars qui opèrent depuis pas mal d’années sous le patronyme de Black
Bombaim. Basé au Portugal, pays pas forcément mis en valeur pour sa scène
musicale, le trio pratique un rock qu’on étiquette à la va-vite de doom-stoner-psyché,
ou le contraire d’ailleurs, au gré des humeurs et d'une météo océanique
changeantes. Mais une appétence prononcée pour des formes disons épurées de
l’abstraction et des collaborations tous azimuts fond exploser ce cadre
forcément réducteur. Et le vieux grognard et dernier mohican d’une certaine
idée du free jazz européen ne s’est pas trompé d’ailleurs, Peter Brötzmann
traversant fissa le vieux continent de part et d'autre pour ramener sa caboche, ses anches et cuivres cabossés
sur un album très judicieusement nommé « Peter Brötzmann & Black
Bombaim »). Du coup chaque sortie d’album constitue un petit challenge qui
vous colle quelques frissons à braver les affres de l’inconnu : c’est
quand même mieux que de se taper du rock d’autoroute au kilomètre en buvant des
bières sans alcool, non ? Stoner-psyché rock ? Mais pas que… Et c’est
dans cette petite nuance que le groupe s’engouffre comme un lézard dans une
fissure (ou le capitaine Kirk dans une brèche spatio-temporelle quoi). Avec ce
double album éponyme, notre trio se jette dans un abîme sans fond et sans trop
besoin de filet, à flirter avec une apesanteur domptée. On ne s’était pas
préparés à faire front à un truc aussi massif.
Le truc derrière ce disque était de demander à 3 musiciens de la scène portugaise provenant d’horizons
différents de composer 2 morceaux pour le groupe puis de l’enregistrer ensemble,
chaque morceau constituant un duo empruntant une direction bien marquée. Et
d’emblée l’austère « Zone of resonant bodies » qui résulte de leur
collaboration avec Jonathan Saldanha en impose avec ses 23 minutes de rock
toujours plus lent, toujours plus lourd et suspendu avec une frappe à la
manière d’un Ted Parsons martial, période Swans. Une belle réverbe de
cathédrale et presque une fin en soi…. S’ensuit un hypnotique Three Axes, perché
dans des échos et arpèges fuyants, résultat de leur collaboration avec Pedro
Augusto. Note la plus discordante de l’album, « Refraction » (composé
par Luis Fernandes de Peixe:avião) va pousser concept, groupe et musique dans
leurs retranchements respectifs en offrant un long drone tout en scintillement
cristallins. Le titre des trois morceaux suivants renvoie à une date (format
annéemoisjour) et résulte toujours de la collaboration des 3 artistes suscités,
mais dans l’ordre inverse (=> A.B.C-C.B.A quoi !). On s’embarque là
pour de bons vieux space jams tournoyants aux contours certes plus classiques
et rassurants pour un fan basique de Black Bombaim, s’il en existe… En somme on
vient de troquer l’arsenal sédatif des premiers morceaux pour revenir à des
substances psychotropes, et « 20180415 » de Saldanha clôture le
double album comme une douche froide, avec ses rythmes vaguement indus,
marimbas et boucles de larsen. Beau concept album où le groupe a une fois de
plus repoussé l’espace et quelques autres limites. Une démarche limite jusqu’au-boutiste
à mettre en parallèle avec des groupes comme Sonar, Plaistow ou encore le
dernier Young Gods (tiens : tous des hélvètes…)…
L'Un.
BLACK BOMBAIM w/ Jonathan Saldanha, Luís Fernandes & Pedro Augusto (CardinalFuzz. 2019)
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