mardi 18 janvier 2022

NALA SINEPHRO : Space 1.8

A Love Supreme 2.0


A part la harpe qu’on a récemment évoqué avec le brumeux album de Mary Lattimore, il y avait tout de même d’autres petits indices ça et là qui pouvaient laisser présager un des plus discrets succès de l’année dernière. A commencer par le petit logo en bas à droite de la jaquette arrière : Warp, ce label à tête chercheuse spécialisé dans l’electronica et surtout avide de se renouveler en se frottant à des univers et styles différents (et respectables puisqu’il s’agit ici de jazz). Puis il y a ce titre « Space 1.8 », comme 8 déclinaisons possibles d’un cosmic jazz directement connecté aux imprécations extatiques d’une Alice Coltrane (harpiste de formation elle aussi…) cinq décennies plus tard. Le triangle magique se referme et les contours de cette petite météorite du 21° siècle se dessinent en filigranes : embarquement pour un univers rétrofuturiste assumé et finement ciselé. Vingt ans à peine, et Nala Sinephro nous offre une œuvre mature qui nous distille un message d’infinie quiétude là où la majorité de ses contemporains se contentent de contempler leur spleen, leur nombril et le méchant monde qui va mal. Un autre écueil est brillamment évité en se jouant des frontières ténues entre les lumières d’un space-jazz et le jazz de salon soporifique pour supermarchés et papis assagis. Cela dit qu’est ce qui rend cet album aussi frais, OVNI suave et léger sorti dans une décennie aussi morne et plombante que la notre ? Peut-être de faire du neuf avec des vieux trucs désuets comme une harpe, le jazz syncrétique et résolument optimiste des années 70’s,  tout ça mélangé avec de beaux aplats et circonvolutions de synthés modulaires (un autre rescapé de cette période qui a le vent en poupe)…. L’alchimie tient dans ce dosage subtilement balancé entre tous ces éléments : les compostions de Nala Sinephro n’appuient jamais trop fortement dans un sens ou dans l’autre. L’électronique ténue ne prend jamais le dessus sur les parties d’un jazz discret et sans emphase, même si certains mouvements inclineront plus vers l’une ou l’autre. Impression de louvoiements permanents, certes, mais parfaitement maitrisés même avec la dernière plage qui se perd dans les volutes ambient-music démesurément étendue, point d’orgue exponentiel de ce disque. J’ai tendance à le répéter mais le jazz est souvent perçu comme un genre figé, presque sacralisé par une poignée de gardiens du Temple dont la virtuosité n’a d’égal que la vacuité d’un propos vrillé en boucle. On a surtout tendance à oublier que le jazz en question s’est toujours entiché de l’air de son temps, genre polymorphe, perméable et aventureux sans cesse à prendre des risques (au gré des rencontres) sur des territoires qui ne lui sont pas forcément familiers. En ce, Space 1.8 s’inscrit confortablement dans cette belle lignée, curieuse et ternaire. 
 
 
L'Un. 


Nala SINEPHRO : "Space 1.8" (Warp 2021)

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