A Love Supreme 2.0
A part la harpe qu’on a récemment évoqué avec le brumeux
album de Mary Lattimore, il y avait tout de même d’autres petits indices ça et
là qui pouvaient laisser présager un des plus discrets succès de l’année
dernière. A commencer par le petit logo en bas à droite de la jaquette arrière :
Warp, ce label à tête chercheuse spécialisé dans l’electronica et
surtout avide de se renouveler en se frottant à des univers et styles différents
(et respectables puisqu’il s’agit ici de jazz). Puis il y a ce titre
« Space 1.8 », comme 8 déclinaisons possibles d’un cosmic jazz
directement connecté aux imprécations extatiques d’une Alice Coltrane (harpiste
de formation elle aussi…) cinq décennies plus tard. Le triangle magique se
referme et les contours de cette petite météorite du 21° siècle se dessinent en
filigranes : embarquement pour un univers rétrofuturiste assumé et
finement ciselé. Vingt ans à peine, et Nala Sinephro nous offre une œuvre
mature qui nous distille un message d’infinie quiétude là où la majorité de ses
contemporains se contentent de contempler leur spleen, leur nombril et le méchant
monde qui va mal. Un autre écueil est brillamment évité en se jouant des
frontières ténues entre les lumières d’un space-jazz et le jazz de salon
soporifique pour supermarchés et papis assagis. Cela dit qu’est ce qui rend cet
album aussi frais, OVNI suave et léger sorti dans une décennie aussi morne et
plombante que la notre ? Peut-être de faire du neuf avec des vieux trucs
désuets comme une harpe, le jazz syncrétique et résolument optimiste des années
70’s, tout ça mélangé avec de beaux aplats et circonvolutions de synthés
modulaires (un autre rescapé de cette période qui a le vent en poupe)…. L’alchimie
tient dans ce dosage subtilement balancé entre tous ces éléments : les
compostions de Nala Sinephro n’appuient jamais trop fortement dans un sens ou
dans l’autre. L’électronique ténue ne prend jamais le dessus sur les parties
d’un jazz discret et sans emphase, même si certains mouvements inclineront plus
vers l’une ou l’autre. Impression de louvoiements permanents, certes, mais
parfaitement maitrisés même avec la dernière plage qui se perd dans les volutes
ambient-music démesurément étendue, point d’orgue exponentiel de ce
disque. J’ai tendance à le répéter mais le jazz est souvent perçu comme un
genre figé, presque sacralisé par une poignée de gardiens du Temple dont la
virtuosité n’a d’égal que la vacuité d’un propos vrillé en boucle. On a surtout
tendance à oublier que le jazz en question s’est toujours entiché de l’air de
son temps, genre polymorphe, perméable et aventureux sans cesse à prendre des
risques (au gré des rencontres) sur des territoires qui ne lui sont pas forcément
familiers. En ce, Space 1.8 s’inscrit confortablement dans cette belle lignée, curieuse et ternaire.
L'Un.
Nala SINEPHRO : "Space 1.8" (Warp 2021)
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