« C’était l’époque où » le label SST insérait systématiquement un feuillet de son catalogue dans ses vinyles. Au milieu des Bad Brains, Descendents, Black Flag ou autres Minutemen qui portaient à rêver cette scène « alternative » californienne bouillonnante, lézardaient les albums de Sonic Youth (qui avaient entre temps signé chez eux pour Sister et Evol je crois) : ce nom à lui seul résumait une certaine idée d’une attitude froide, urbaine et définitivement cool, et leurs visuels troublants renforçaient cette aura hype de truc pour initiés à cheveux gras. J’avais 15 ans et les disques les plus discordants de ma maigre discothèque étaient peut-être et Big Black et une compile sur laquelle Kildozer massacrait Sweet Home Alabama. Avec un internet encore inexistant, c’était faire un de ces sauts dans le vide, que de se procurer ce genre de disque mutant. Il n’y avait aucune copie cassette qui circulait de main à main dans mon lycée de province où l’on s’encanaillait plus logiquement avec les Smiths, The Clash et autres Cure, la sainte trinité Hendrix-Led Zep’ et AC/DC patchée sur les besaces. Bad Moon Rising a constitué le parfait album pour initier ma vocation d’audio-freak franc-tireur en quête de la dissonance différente. Bref, en 1986, ce n’était pas vraiment l’album idéal pour pécho ou s’intégrer.
Pas vraiment l’album de la transition entre les débuts no-wave et le trio gagnant de la suite (Evol-Sister-Daydream Nation), Bad Moon Rising constitue la pierre d’achoppement discordante de leur discographie dissonante. Album probablement sous-estimé en ce qu’il ne ressemble en rien au style depuis bien (trop ?) rodé des newyorkais. Comparé à ses prédécesseurs, il y a une nette amélioration dans la production, signe d’une maturité qui pointe, donnant une certaine cohérence à leurs ambitions. Le groupe explore de vastes paysages dévastés à grands coup de guitares qui se perdent en échos désabusés, non sans une certaine grandiloquence que l’on qualifierait aujourd’hui de « gothique ». Hymnes dérangés et abrupts d’une morne Amérique qui commencerait à douter de son Rêve, lancée aveuglément dans un road-trip sanglant (« Death Valley 69 », seul morceau au potentiel radiophonique). La contre-culture trash y est célébrée à grands coups de drones, d’espaces sonores grisés et de relents rythmiques post-industriels. Le sentiment de ce qui est malsain fascine encore le groupe qui nous convie à des rituels soniques comme « Ghost Bitch » ou encore le spoken-word halluciné d’un « I’m Insane ». Le groupe signe aussi avec I Love Her All the Time, une ballade au souffle épique qui convoque à sa façon les grands espaces (perdus ?) ; peut-être le seul morceau de cette trempe dans toute leur discographie…
Une autre facette d’un Sonic Youth encore abrasif. En forme d’impasse sonique, certes, mais à ne surtout pas négliger.
L'Un
SONIC YOUTH "Bad Moon Rising" (Homestead. 1985)
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